Article Ewanews décembre 2013.
« Depuis le fond des âges, les plantes nous offrent l’air que nous respirons. Faut-il qu’elles disparaissent pour que l’on s’en souvienne ? » Dans le film réalisé par Luc Jacquet, « Il était une forêt », présenté à la soirée d’ouverture du 5e Festival Documen’Terre de Montignac, le botaniste Francis Hallé s’est imposé comme un fervent défenseur de la forêt primaire des tropiques. Pour ce passionné des arbres âgé de plus de 75 ans, c’est le film du « voyage de toute une vie ». Un film réalisé « avant qu’il ne soit trop tard » dit-il ! « C’est une question de temps… Avec 13 millions d’hectares qui disparaissent chaque année, les forêts sont toutes menacées. » Et il avoue même un sentiment d’impuissance, qui lui inspire colère et tristesse, face aux multinationales. « Quand j’ai commencé à travailler dans les années 60, il y avait des forêts primaires partout. Personne n’aurait cru que ça allait disparaître dans 50 ans ! » Et il pointe même le rôle « excessif » de la France dans cette question de déforestation. « On est encore dans un système colonial » selon lui.
La 5e édition du Festival Documen’Terre était consacrée à l’arbre et à la forêt. Ciné-Toile avec la Bibliothèque et le cinéma Vox organisaient l’événement avec le soutien de la Ville de Montignac, de la région Aquitaine et du Conseil général de Dordogne. « La forêt couvre à peu près 4 milliards d’hectare sur notre planète, 60% du territoire en Périgord » souligne Marie-Hélène Saller présidente du festival qui succède à Alan Bolle premier président pendant quatre ans. Une exposition en parallèle réunissait 29 artistes régionaux : peintres, photographes, plasticiens. La soirée d’ouverture s’est déroulée en présence de Laurent Mathieu maire de Montignac, Germinal Peiro député, Jacques Cabanel conseiller général, et Nathalie Manet-Carbonnière conseillère régionale et présidente de la communauté de communes.
« Il était une forêt »
A l’écran, Francis Hallé est perché dans ces arbres immenses qui ont un, deux, trois milliers d’années, un carnet de dessin à la main. « Etre en haut d’un arbre, c’est un bonheur immense » affirme le botaniste. Le spectateur se laisse alors guider dans cet univers végétal incroyable où la surprise viendra non seulement des images mais aussi des messages. « A chaque instant, j’ai été émerveillé par les capacités des grands arbres, à vivre immobile. Combien de fois ces êtres de bois ont mis au défi ma propre intelligence ? » interroge le botaniste. « Dans cette forêt, on y trouve des milliards de plantes et des milliards d’animaux, tous indispensables les uns aux autres ». Pour décrire ses découvertes et inviter le spectateur à faire un détour par le grand laboratoire de l’évolution et des mutations, le botaniste prend pour exemple (dans le film) la plante qui porte les fruits de la passion ou encore la Passiflore qui n’a qu’un seul ennemi : les chenilles du papillon Eliconus qui depuis des générations dévorent ses feuilles. Puis, une espèce est devenue un jour très vénéneuse. Soulagée de ses prédateurs, cette nouvelle espèce de lianes s’est mise à prospérer, jusqu’au jour où est apparue une nouvelle espèce de chenilles, insensible au poison de la plante. « Les plantes ont alors changé les formes de leurs feuilles pour tromper les papillons » dit-il !
Lors du débat qui suivait la projection, Francis Hallé répond aux questions de la salle. Selon lui, l’arbre joue même un rôle sur la pluviométrie… « On sait depuis un quart de siècle que les arbres émettent des molécules volatiles mais c’est depuis moins de dix ans et suite à des travaux de chercheurs brésiliens que l’on sait que, pour qu’il y ait de la pluie, il ne suffit pas qu’il y ait une vapeur d’eau saturante dans l’atmosphère, il faut aussi des germes. En Europe, ce sont des grains de poussières ou des grains de pollens. Dans ces forêts, il n’y a ni l’un ni l’autre, donc ce qui sert de germes, ce sont les molécules volatiles » explique-t-il.
Selon lui également, l’arbre domine la forêt, et pas seulement visuellement… Selon lui, les animaux sont au service des arbres !…
« La forêt n’est pas dangereuse comme on veut nous le faire croire. Il y a cette image d’enfer vert qui lui colle à la peau. C’est beau, ce n’est pas dangereux et c’est l’antidote contre les nuisances de la vie urbaine contemporaine ». Il encourage alors la salle : « allez voir la forêt. Ceux qui l’auront vu ne supporteront plus l’idée que l’on puisse la détruire ». Le botaniste passionné garde cependant espoir avec un peu d’humour : « une forêt primaire pourrait cependant se reconstituer. Mais il faudrait qu’on lui fiche la paix pendant sept siècles ! »
Francis Hallé a ensuite dédicacé ses ouvrages dans lesquels il n’a pas hésité à dessiner les arbres qu’il aime tant. AR
– Photo 1 : de gauche à droite M.H. Saller, J. Cabanel, Francis Hallé et L. Mathieu
– Photo 2 : de gauche à droite Nin-Loup Sailhan, Marie-Hélène Saller, Francis Hallé