Article du 6 février 2014 :
Les élections municipales auront lieu les 23 et 30 mars 2014. A Terrasson, le maire a annoncé sa candidature à sa propre succession. Face à lui, une liste d’opposition est en train de se construire. Aujourd’hui, c’est Francis Valade, conseiller municipal de l’opposition à Terrasson, qui s’est prêté à l’interview questions-réponses.
EWANews. Bonjour Francis Valade, qu’est-ce qui vous motive dans l’action citoyenne ?
F.V. : « C’est la possibilité de réagir et d’agir sur les réalités sociales et économiques de notre pays. Cela part d’un constat d’inégalités et d’injustices, d’une sensibilité particulière à la question sociale, et de la conviction qu’il y a une alternative à l’économie de marché malgré le matraquage idéologique qui voudrait nous persuader qu’il n’y a d’autre horizon que cette économie financiarisée et mondialisée. Cela n’a rien de très original mais c’est ce qui motive mon engagement syndical et politique ».
EWANews. Quelles sont les qualités et les défauts de l’actuelle municipalité ?
Francis Valade : « Il me semble que les élus de la majorité sont assez investis et qu’ils ont le souci, à leur manière, d’une bonne gestion des affaires de la commune. Les défauts, ce sont d’abord les principes et valeurs de la droite libérale qui guident leur action. Et une certaine difficulté à entendre des points de vue différents. C’est aussi une gestion souvent opaque, autoritaire, qui ne prend pas suffisamment en compte la population dans les décisions prises. Il y a un déficit démocratique qui engendre souvent des conflits avec les associations, les enseignants des écoles ou des décisions du type effacement de la fresque, une oeuvre artistique, qui ornait la façade du centre culturel, sans que personne en ait été informé ».
La ville a été totalement transformée, c’est ce que l’on entend dire souvent aujourd’hui, qu’en pensez-vous ?
F.V. : « Je pense que c’est la moindre des choses. Quand on est aux commandes d’une municipalité depuis plus de vingt ans, c’est normal d’observer des changements. Et l’on constate les mêmes évolutions dans la plupart des autres villes. Il n’y a là rien d’extraordinaire. Mais derrière la façade, Terrasson, est-ce qu’elle change vraiment ? Les difficultés sociales et économiques sont toujours là, derrière cet embellissement de la ville, qui concerne d’ailleurs certaines parties de la ville mais pas toutes ».
Les choix de la municipalité actuelle n’ont-ils pas pénalisé d’autres domaines ?
F.V. : « Nous avons toujours été réticents sur les millions d’euros engloutis dans les travaux d’embellissement. Le déplacement de l’unité des Fermiers du Périgord génère de gros investissements pour la ville. Est-ce que cela n’aurait pas pu être anticipé un peu plus tôt ? Il faut agrandir, accroître la capacité de la station d’assainissement pour l’adapter à cet abattoir. Il y a des gros travaux programmés en urgence qui vont coûter quelques millions d’euros à la ville. Je ne veux pas défendre Gaye bien sûr, mais on l’a laissé coincé entre la Vézère et la colline. Peut-être que l’on aurait pu anticiper. Cette unité ne pouvait pas rester là éternellement. On attend toujours le projet des écoles, un gymnase, le dojo, la rénovation du centre culturel… »
Y-a-t-il un candidat déjà désigné dans votre camp, celui de l’opposition, pour les élections municipales ?
F.V. : « Non. Pour l’instant, il n’y a pas de tête de liste mais il y a un groupe de gens des diverses sensibilités de gauche qui a entamé un cycle de réunions pour construire une liste d’opposition aux élections municipales. La phase d’élaboration d’une liste est relativement avancée. Mais elle n’est pas tout à fait bouclée. Je profite d’ailleurs de l’occasion pour lancer un appel aux Terrassonnaises et Terrassonnais intéressés pour s’investir dans une liste d’opposition qui penche à gauche, mais qui se veut aussi ouverte et citoyenne. Et la question de la tête de liste sera résolue quand la liste sera composée et que l’on aura formalisé les axes de notre projet et de notre programme ».
Accepteriez-vous de jouer un rôle dans la nouvelle municipalité ?
F.V. : « Mon investissement ces six dernières années dans l’opposition municipale m’a conduit à m’intéresser aux affaires de la commune et je suis prêt à poursuivre ce travail, que ce soit dans l’opposition ou la majorité ».
Le gouvernement français actuel n’a guère le vent en poupe. Est-ce que cela freine la candidature de votre camp ?
F.V. : « C’est une question qui se pose chaque fois qu’il y a des élections intermédiaires. Se traduiront-elles par un vote sanction pour le gouvernement ? L’impopularité actuelle du gouvernement peut y inciter. La politique qu’il conduit répond davantage aux attentes du MEDEF et de la droite qu’à celles de l’électorat de gauche qui l’a porté au pouvoir. Notre liste n’est pas une liste de soutien à la politique gouvernementale. C’est une équipe de gauche qui entend porter un projet municipal fondé sur nos valeurs communes ».
De quelle couleur politique vous sentez-vous le plus proche ?
F.V. : « Je suis militant du parti communiste français et du Front de gauche qui pour le dire rapidement est vent debout contre les politiques d’austérité qu’on nous impose maintenant en France et en Europe. Le président Hollande a choisi cette voie, malheureusement. Il s’en prend au « coût » du travail au lieu de s’en prendre au coût du capital, au poids de la finance, ce n’est pas une politique de gauche. Ce n’est pas le coût du travail qui pénalise la production industrielle. Aux papeteries de Condat, la masse salariale est de 8% du chiffre d’affaires. Elle était de 20% il y a vingt ou trente ans. Par contre, les dividendes reversés aux actionnaires ont considérablement augmenté. Et c’est là qu’il y a des économies à faire. Le carnet de commandes c’est la demande, et si les gens ont plus d’argent pour s’acheter des voitures, le carnet de commandes se remplira davantage ».
Votre pensée par rapport à la montée du Front national ?
F.V. : « Au niveau des municipales, je constate que cette formation a beaucoup de difficultés pour trouver des candidats qui s’investissent. Cela prouve que c’est d’abord un vote de protestation, un vote de « rejet » du système politique, mais avec la poursuite de la crise, le discours simpliste de stigmatisation de l’autre s’ancre dans les esprits. C’est très inquiétant. On voit dans les pays les plus touchés par la crise, comme la Grèce par exemple, l’émergence d’un parti nazi. On voit en Espagne des réformes régressives sur l’interdiction de l’avortement par exemple. On voit aujourd’hui chez nous aussi cette frange réactionnaire proche de l’extrême-droite battre le pavé encouragée par la droite et les diverses reculades du gouvernement. Voilà, il y a une résurgence de l’extrême-droite, pas seulement en France, qui est liée à cette crise profonde, et qui se nourrit aussi de ces politiques d’austérité qui ne font qu ‘aggraver la situation ».
Seriez-vous tête de liste si l’on vous le proposait ? Cela ne vous ferait pas peur ?
F.V. : « C’est quelque chose que l’on va discuter collectivement. De quoi faudrait-il avoir peur? N’est-on pas en démocratie ? »
Côté majorité, voyez-vous un successeur possible au maire ?
F.V. : « Personne n’est irremplaçable. Mais dans son camp, on ne voit personne émerger. Il a une façon de diriger très personnelle, très autocratique. Tout gravite autour de lui. Dans les conseils municipaux, il donne très peu la parole aux autres, c’est lui qui dirige les débats constamment et qui traite tous les dossiers. Cela tient sans doute à sa conception du rôle de maire. Il prétend diriger sa ville comme une entreprise. Or c’est c’est une gestion très différente et il le sait bien. »
Quelles sont, d’après vous, les questions essentielles dans les cinq prochaines années à Terrasson ?
F.V. : « La première c’est l’emploi forcément et l’impact de la crise sur notre bassin. La municipalité doit, autant que faire se peut, être une sorte de « bouclier social » et porter son attention à la partie la plus fragilisée de sa population. Elle doit aussi faciliter l’implantation et le développement des entreprises. La municipalité actuelle tient ce discours aussi, mais ce n’est pas suffisant. Il faut que tout aille ensemble, notamment en développant encore davantage les services publics. Les questions essentielles, c’est aussi tout ce qui est éducation bien évidemment, les sports, la culture. Le centre culturel a été mis en grande difficulté ces dernières années du fait d’une gestion intrusive et autoritaire qui a découragé les bonnes volontés qui faisaient vivre l’association et le festival du mois de juillet. La grande nouveauté, ce sera la nouvelle communauté de communes, qui s’est mise en place de façon bien peu démocratique. Personne n’a été consulté ni informé. La population a été tenue à l’écart de la constitution de cette nouvelle entité territoriale. Le danger que je perçois, c’est que cela va éloigner la prise de décision du citoyen et affaiblir la vitalité de la démocratie locale. On va transférer un certain nombre de compétences de la commune à la communauté de communes et il faudra bien réfléchir comment on le fait. Evitons les usines à gaz et mettons au cœur de son fonctionnement mutualisation, solidarité , renforcement des services publics. Si non, ce sera une couche de plus du millefeuille technocratique. »
Comment expliquez-vous que, malgré un bassin de vie ouvrier et traditionnellement à gauche, un maire libéral soit aux commandes actuellement ?
F.V. : « N’oublions pas qu’il est dirigeant d’une entreprise qui emploie sur Terrasson et qu’il entretient l’idée qu’en tant que chef d’entreprise, il est plus qualifié pour préserver l’emploi. Pourtant le chômage n’a jamais été aussi élevé à Terrasson et lui même licencie. Et puis, il est aux commandes depuis 25 ans, et l’on sait très bien qu’un maire installé depuis plusieurs mandats, il est très difficile de le déboulonner ».
Vous êtes enseignant de français. Est-ce une passion ?
F.V. : « C’est un métier que j’aime beaucoup, que j’exerce depuis trente ans à Terrasson. C’est un métier difficile notamment en collège où on a un public adolescent pas toujours très facile. Mais on a l’avantage d’enseigner une discipline que l’on aime, le français pour moi. C’est assez souvent aussi la satisfaction d’éveiller les jeunes esprits et de leur donner les outils qui leur permettront de mieux comprendre le monde dans lequel ils évoluent. Ce que j’aime bien aussi, c’est qu’on a une certaine indépendance : on conduit nous-même notre enseignement. On est concepteur de notre cours, on choisit les méthodes et les contenus et on est constamment confronté à des difficultés didactiques, pédagogiques, qu’il faut analyser et tenter de résoudre. Même si on a l’impression de rabâcher, il n’y a pas de routine dans ce métier ».
Qu’est-ce qu’il faudrait changer aujourd’hui dans le monde éducatif ?
F.V. : « C’est une vaste question. Il faut revaloriser le métier d’enseignant financièrement. Nous avons les enseignants les plus mal payés d’Europe. Les conditions de travail se sont aussi fortement dégradées. L’Education ce n’est pas un coût, c’est un investissement pour l’avenir auquel la Nation doit consentir. Le dernier rapport PISA montre que les inégalités se creusent : l’écart s’accroît entre les élèves qui réussissent et les plus en difficulté. Il faut recruter et former de nombreux enseignants, car sous Sarkozy, 80000 postes ont été détruits et la formation a été supprimée. Ce gouvernement s’est engagé à recruter 60.000 enseignants sur 5 ans et à rétablir la formation, c’est bien, mais les effets de cette politique tardent à se faire sentir. Les classes sont encore trop chargées et la formation peine à se mettre en place. Il est à craindre que les restrictions budgétaires annoncées ne mettent un frein à cette évolution. Pour résoudre les inégalités pointées par le rapport PISA, il faut aussi donner davantage de moyens à l’éducation prioritaire. De premières mesures trop timides seront mises en place à la rentrée 2014 et elles ne concerneront pas Terrasson qui est toujours en ZEP (Zone d’Education Prioritaire). Il faut aussi une vaste remise à plat des programmes en concertation avec les enseignants ».
Les échoppes dans la vieille ville, pour ou contre ?
F.V. : « Ces façades de boutiques reconstituées en fac-similé vont transformer le vieux Terrasson en décor de cinéma ».
Quels sont vos hobbies ?
F.V. : « La lecture : romans, essais, poésie, théâtre… Je suis aussi un grand lecteur de la presse écrite. Je vais au cinéma régulièrement, notamment aux soirées Travelling, et je suis un fidèle du centre culturel depuis mon arrivée à Terrasson, il y a plus de 30 ans. Mais ce ne sont pas des « hobbies » à proprement parler, ce sont des aspects essentiels de ce que je suis, inséparables de mes choix professionnels, politiques, philosophiques. En matière sportive, je suis un amoureux de la petite reine, je commence à avoir quelques milliers de kilomètres au compteur ». (sourire)
Quelle est votre citation ou devise préférée ?
F.V. : « Je n’en ai pas, mais en Espagne l’été dernier, j’ai lu sur un mur cette inscription : Je pourrais dire à mes enfants que nous avons perdu, mais je ne pourrais pas dire en les regardant dans les yeux, que nous avons perdu parce que nous n’avons pas lutté. A méditer ».
Propos recueillis par Alain Rassat.