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« La grotte de Lascaux est saine et stable » selon Yves Coppens

Yves Coppens, nommé président du conseil scientifique chargé de la conservation de la grotte de Lascaux en 2010 par Nicolas Sarkozy, souligne que la grotte originale est « saine et stable ». Le paléontologue et paléoanthropologue français, professeur honoraire au Collège de France, était l’invité de Claude Douce au château de Sauveboeuf à Aubas mardi 12 août 2014. Interview…

Ewanews : Quel est l’état de santé de la grotte de Lascaux aujourd’hui ?

Yves Coppens : « La grotte est gentille. Elle ne se manifeste pas trop. Elle est calme parce que la conservatrice, Muriel Mauriac, a pris soin de la fermer. Et donc il n’y a plus que 400 à 500 heures de présence humaine par an, ce qui n’est vraiment pas beaucoup. On étudie tout, de haut jusqu’en bas, depuis la terre qui est au-dessus, à ce qui est planté dedans. La manière dont c’est arrosé. Le contenant, c’est-à-dire le calcaire, et puis le contenu, c’est-à-dire l’humidité, les courants d’air, et puis toute la microbiologie. Nous avons par contre deux petits soucis qui ne sont pas totalement réglés. C’est premièrement des vermiculations, car quelquefois il y a de l’humidité et par les fissures, cela fait des petits boudins. On a cela dans d’autres grottes. Et puis, deuxièmement, il y a ce qu’on appelle les tâches noires, qui sont des petites tâches qui se décolorent. On sait ce que c’est. On sait que c’est plus l’écosystème qu’un seul champignon. Ce sont des mycoses en général. Et là aussi on aimerait bien savoir comment les éliminer. Mais cela ne dure pas. Elles apparaissent, elles disparaissent, elles réapparaissent, dans certaines régions de la grotte qui sont plus vulnérables. Et on sait que ces zones sont plus vulnérables parce qu’elles ont déjà souffert avant même que la grotte ne soit découverte. Entre la fabrication des peintures et la découverte en 1940, il y a eu des destructions naturelles. Mon conseil est consultatif mais il en existe un autre qui est exécutif. J’ai réussi à trouver une grotte laboratoire dans laquelle on va pouvoir s’en donner à coeur joie. Parce que parmi les gens de mon conseil, il y a des gens comme moi qui sont scientifiques et qui voudraient mieux connaître avant d’agir. Et puis il y a des matraqueurs, des gens que je ne critique pas car je suis bien content de les avoir aussi, mais des gens qui sont peut-être plus portés par l’action et qui aimeraient bien arriver tout de suite avec un bazooka (rires) et fusiller les choses qui nous embêtent. Je préférerais mieux comprendre et résoudre ces problèmes définitivement. Ceci dit, la grotte est en bon état. On peut dire qu’elle est saine et stable, grâce toujours à Muriel Mauriac qui a fait changer tous les équipements. On a eu très peur, parce que ça fait quand même quelques remous. On a fait ça sur la pointe des pieds, tant et si bien que l’on ne s’en est pas aperçu. Et les équipements sont donc neufs. Les précédents commençaient à rouiller, ils avaient une dizaine d’années, et cela n’a pas porté préjudice à la grotte ».

Ewanews : Etes-vous vous-même rassuré ?
Yves Coppens : « On ne l’est jamais complètement. Parce que c’est une grotte vivante. Songez qu’il y a des petits bouts de radicelles qui quelquefois y pénètrent. Les végétaux sont incroyables. La grotte n’est qu’à cinq-six mètres de profondeur, ce n’est pas terrible. Donc il y a de la végétation, il n’y a pas foule de racines quand même ».

Ewanews : Quand vous descendez dans la grotte, en dehors du côté scientifique, quel effet cela vous fait à chaque fois ?
Yves Coppens : « Plusieurs effets, je dois dire. D’abord, admiratif parce que c’est un chef d’oeuvre, assez homogène. Ce n’est peut-être pas un seul peintre, c’est en tout cas une école de peinture. C’est assez homogène et en ce sens c’est magnifique, c’est d’autant plus remarquable. Ensuite, l’effet que ça me fait c’est que je ne rencontre pas les préhistoriques mais je rencontre un peu leurs dieux. C’est comme le ciel de ces gens là, et ces animaux portent plutôt vers leurs dieux, si ce ne sont pas les dieux eux-mêmes. Donc, il y a la même impression que l’on a dans les temples, dans les églises. Je suis descendu avec Nicolas Sarkozy pour le 70e anniversaire de Lascaux, et quand il m’a parlé dans la grotte, il a baissé la voix, le ton de la voix, et j’ai dit, mais Monsieur le Président, qu’est-ce qui vous arrive ? Ah, il me dit c’est vrai, c’est spontané. On est dans un temple, c’est automatique. De plus, quelquefois, j’ai une impression de bruit. Ces animaux me disent quantité de choses que j’entends mais que je ne comprends pas. Donc c’est un mélange : admiration, méditation, et puis, je ne sais pas, perturbation peut-être ».

Ewanews : Vous venez souvent voir votre ami Claude Douce ici à Aubas, c’est un plaisir aussi ?
Yves Coppens : « Oui, Claude Douce est un ami depuis longtemps, c’est un passionné de préhistoire que je connais depuis bien longtemps. Je l’ai connu d’une drôle de manière, je travaillais au Tchad où j’avais connu un officier de l’armée coloniale qui, à la retraite, est passé dans le monde industriel. Il travaillait à la lessive Saint Marc et le patron de l’entreprise était un ami de Claude Douce. Donc, vous voyez, trois relais et depuis, je ne dis pas qu’on ne se quitte plus, mais, sur le plan de la préhistoire en tout cas, on ne se quitte guère et l’on a toujours plein de choses à se raconter ».

Propos recueillis par Alain Rassat le 12 août 2014.

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