ARES : l’épanouissement par le jeu

Lors de la réunion du jeudi 12 février à Bersac, l’ARES avait invité Maria de Oliveira, psychologue et psychanalyste, pour aborder le thème : « Scolarisation et avenir de nos enfants, apprentissages et épanouissement par le jeu ». Les prochains rendez-vous auront lieu le 18 mars à Montignac sur le thème : « Solitude en Périgord, personnes vulnérables et isolement », avec Jean-Louis Favard, et le jeudi 16 avril au centre socio-culturel du Lardin-Saint Lazare, l’ARES recevra Denis Tillinac, écrivain, journaliste, polémiste et directeur de collection sur le thème : « Ethique et médias : après Charlie Hebdo, quelles leçons ? »


Maria De Oliveira présente tout d’abord son parcours professionnel et sa profession : psychologue clinicienne (titre universitaire après 5 années d’études) et psychanalyste. La fonction de psychanalyste nécessite, selon elle, d’avoir soi-même connu l’épreuve du divan (c’est-à-dire suivie une psychanalyse personnelle) et validé un parcours d’enseignement.

Pourquoi le thème du « jeu » ? Mme De Olveira reçoit une majorité d’enfants et d’ados, consultant ou amené à la consultation pour motif scolaire. Ils sont dans deux extrêmes : soit ils ont complètement désinvesti leur scolarité ; soit ils l’investissent trop au point de présenter parfois un état de stress alarmant. Stress alimenté par la peur (décuplée par celle des parents sans doute) : peur des mauvaises notes, de l’échec, de ne pas y arriver, de décevoir. Ceux-là sont parfois de très bons élèves mais à quel prix ?

« Les enfants qui ne savent plus jouer m’inquiètent »

« Les enfants, les ados et les adultes manquent de ces moments creux, vides, où l’on peut jouer, rêvasser, paresser sans se culpabiliser. Je me surprends dans mon cabinet à valoriser de plus en plus souvent, les espaces creux, vides, ces moments où il n’y a pas de programmes » dit l’intervenante. « Ce sont dans ces espaces là que le jeu peut se déployer. Quand je vois un enfant qui sait jouer dans mon cabinet, je me dis au fond que tout va bien. Ce sont les enfants trop sérieux, qui ne savent plus jouer, qui m’inquiètent. Car jouer est primordial. Tous les enfants jouent et quand ils ne savent plus le faire alors il faut s’inquiéter car c’est le signe d’un trouble grave » dit-elle. « Les enfants souffrant d’un traumatisme grave ne savent plus jouer et ont besoin de la présence attentive et bienveillante d’un adulte pour réapprendre à jouer »

Mais qu’est ce que le jeu ? Dans le Larousse, deux définitions sont proposées : « activité non imposée, à laquelle on s’adonne pour se divertir, en tirer un plaisir » (c’est le play en anglais) ; « activité de loisir soumise à des règles conventionnelles, comportant des règles conventionnelles, comportant gagnants et perdants et où interviennent des qualités physiques ou intellectuelles, l’adresse, l’habileté ou le hasard » (c’est le game : jeu de football, de belote, d’échecs…). Selon l’intervenante, « il est essentiel de différencier ces deux types de jeux. La forme de jeux que j’aimerai le plus aborder et développer avec vous est le jeu libre, spontané, sans règles apparentes, sans contraintes ». « Il suffit d’observer un enfant jouer pour se rendre compte à quel point il est sérieux, concentré. Si on vient le déranger ou détruire sa construction, cela peut déclencher un drame, l’enfant peut être inconsolable. »  « Le jeu est le travail de l’enfant » a écrit Maria Montessori. Pour les enfants, le jeu c’est du sérieux !

Quelles ont les conditions nécessaires pour que l’enfant puisse jouer ? Les enfants ont une aptitude innée, universelle, à jouer, créer, imaginer. Pour que cette aptitude trouve à s’épanouir, « il suffit que l’environnement permette des espaces et temps de liberté et de solitude, et une atmosphère de sécurité ». Il faut donc une « juste distance », sécurisante mais respectueuse de l’intime.

Pourquoi les enfants jouent ils ? « Il est naturel pour un enfant de jouer, très tôt. De la naissance à deux ans prédominent les jeux dits « sensorimoteurs » : jouer avec ses mains et ses pieds, manipuler des objets. Dès six mois, le bébé adore, par exemple, jouer au « coucou c’est moi ». Au-delà d’un jeu de communication ludique, ce jeu permet au nourrisson d’expérimenter la disparition et la réapparition d’un visage connu, sans angoisse, de façon rassurante. Ces jeux permettront à l’enfant, plus tard, d’accepter l’absence de sa mère avec moins d’anxiété. L’enfant intègre, par le jeu, la capacité à se séparer, à vivre l’absence.

Cette capacité est une des plus difficile à intégrer (cf Freud)». « Si le tout petit enfant joue seul sur le tapis, pendant que sa maman vaque à ses occupations, il apprend à être seul en présence d’un adulte rassurant, c’est une étape primordiale. Cela permet à l’enfant de se construire. C’est semer les graines pour qu’il puisse respecter l’espace de l’autre, il apprend ainsi à rester seul sans peur.

Si l’on met trop tôt l’accent sur l’adaptation extérieure, sur le jeu collectif ou à deux, l’enfant prend le pli de répondre aux attentes de l’autre. Il ressentira plus tard une absence d’énergie quand il devra faire les choses par lui-même ».

« Faute d’avoir pu, tranquillement, habiter cet espace protégé du jeu, d’avoir eu le temps de créer un sentiment d’intimité et de bien-être avec soi-même, les enfants grandissent trop tôt. « Les ailes sont déployées avant même que les racines aient pu s’ancrer solidement dans le terreau » (Flore Delapalme). Certains enfants n’osent plus dessiner librement, ils se jugent, attendent une appréciation, ne s’autorisent plus à gribouiller. Leur dessin doit d’entrée représenter quelque chose de conforme (au désir de l’adulte ?). Montaigne disait déjà que « le jeu devrait être considéré comme l’activité la plus sérieuse des enfants ». Pendant que l’enfant dessine ou construit son univers de jeu, personne ne doit pénétrer. Il est important de le laisser seul dans son inspiration. Il partagera ensuite ce qu’il a fait ou construit ».

« A partir d’environ deux ans apparait la fonction symbolique, la capacité à imaginer, à se   représenter les objets absents. L’enfant commence à jouer « à faire semblant » ; il joue au docteur, à la maitresse, à tuer pour de faux… »

« Vers trois ans apparaissent les capacités de faire des jeux avec des règles, au départ des jeux simples comme « Jacques a dit », qui se complexifient avec les jeux de société. A travers eux, l’enfant peut acquérir le sens des règles collectives à respecter ».

Jouer c’est développer la fonction symbolique. Jouer est une activité symbolique (c’est-à-dire une représentation porteuse de sens). « Quand, par exemple, l’enfant joue à tuer sa mère, son père, son frère ou sa sœur, il tente de se séparer, de trouver une issue à son agressivité afin de ne pas l’agir. Il élabore son agressivité sans la passer à l’acte. Empêcher un enfant de jouer à tuer, à se bagarrer, c’est le pousser à agir son agressivité plus tard. L’enfant symbolise à travers le jeu son agressivité, ses pulsions. En représentant son agressivité et ses impulsions à travers le jeu l’enfant les extériorise. En jouant l’agressivité, il se familiarise avec, apprends à la manipuler, à mieux la contrôler ».

« Quelle est la place donnée actuellement au corps, à l’agressivité de l’enfant dans sa rencontre avec l’autre par le biais de ce médiateur qu’est le jeu ? Les enfants n’auraient ils pas perdu l’habitude de jouer, de se mesurer physiquement lors de jeux codifiés ? En dehors de l’activité sportive, qui le plus souvent constitue une mise en jeu du corps dans un but de réussite, de compétition où est la place du jeu ? Que se passe t-il dans les cours de récréation ? Les enfants et les jeunes adolescents ont perdu la transmission de jeux tels que le ballon prisonnier, le gendarme et le voleur… La confrontation avec l’autre n’a plus de médiateur, alors les enfants se confrontent physiquement de façon violente souvent ».

Quand cesse-t-on de jouer ? « Jamais ! Le jeu n’est pas propre à l’enfance et un adulte qui garde sa capacité à jouer est un adulte épanoui. Le symbole, le jeu a toujours une fonction transformatrice pour le psychisme ». On peut intégrer dans les jeux les activités artistiques, la lecture, la poésie, la créativité, les fêtes…

Les questions de la salle

Et les jeux vidéos, les écrans ? « On ne peut pas classer les jeux vidéos avec les jeux créatifs. Il s’agit de réflexes, non structurant pour le psychisme ». Des opinions divergentes sont exprimées : développement d’une stratégie nécessaire pour résoudre l’énigme de certains jeux; développement de réflexes oculo-moteurs utiles aux pilotes de chasse par exemple ; l’informatique est de toute façon là, il faut donc faire avec…

Maria De Oliveira suggère de se référer aux conclusions de Serge Tisseron, qui font autorité, en particulier la règle des 3 /6 /9 /12. (Voir ci-dessous)

Q : pourquoi tant de jouets ? « Effectivement il y a une accumulation très exagérée de jouets, en particulier à Noël. Cela signifie t il une angoisse des parents ? Tous ces jouets ne stimulent en rien le jeu utile, créatif. Ils sont plutôt néfastes. L’enfant s’épanouit plus avec un jouet rudimentaire qu’il fabrique lui-même ». Un participant : « Oui mais qui, dans cette salle, n’offre pas trop de jouets à Noël, même en sachant que c’est inutile ! »

Q : comment créer ces « vides » propices au jeu ? « Quand j’étais dans une structure de vie avec de grands enfants, très difficiles, nous avions institué, après le déjeuner, un « temps calme » solitaire obligatoire de trente à cinquante minutes. Rapidement l’habitude en a été prise et cela a été très profitable pour tous ».

Q : les enfants semblent plus agités qu’avant. Diagnostic d’hyperactifs ? « Ce diagnostic est trop souvent porté, abusivement. Ce peut être des carences d’éducation, mais aussi justement des enfants qui ne savent pas jouer, pas symboliser, qui passent à l’acte. Peut être n’ont-ils pas d’espace propre à la maison ? ou pas de temps libre ? Il suffit parfois d’un petit aménagement, par exemple l’interdiction à un frère/sœur de pénétrer dans sa chambre. Sa chambre devient son espace propre où il pourra se réfugier et se développer en sécurité ».

Q : exemplarité des parents ? « Evidemment. Les enfants imitent les parents, reproduisent leur comportement, y compris pour l’activité, les jeux, les écrans… »

Q : on voit bien que les jeux peuvent être aussi bien toxiques que profitables. « Effectivement. Mais si on parle des jeux libres (play), le bénéfice l’emporte toujours ». Il faut aussi tenir compte des différences de personnalité et de caractère des enfants qui les font réagir de façon très variable à une même activité.

Q : et les grands parents ? « Ils ont une place très importante. La différence de génération, plus de temps libre, permettent le développement de jeux, d’histoires du passé… très stimulants ».

Q : La place des désirs et de l’anxiété des parents ? « Beaucoup de choses sont là ! ». « Effet négatif de l’intrusion des parents dans le jeu. En particulier il est néfaste d’interpréter ou de vouloir orienter le jeu spontané. Par exemple pour le dessin, il ne s’agit pas de juger, de dire ce qui est beau, ce qu’il faut faire, d’imiter. Il faut laisser l’expression de l’enfant libre et spontanée ».

Q diverses : l’aménagement des locaux scolaires ? le refuge aux toilettes ? jeux éducatifs ? place des valeurs familiales ? atmosphère familiale ? mères trop occupées, en particulier avec les contraintes du travail ? enfants qui ne peuvent jouer seuls ?…etc

« Quand un enfant nait, il donne forme au désir du couple. Mais l’enfant n’est jamais comme les parents l’auraient souhaité. Le passage de l’enfant fantasmé à l’enfant réel est douloureux et conflictuel pour les parents. Confronté au réel de l’enfant, dans l’interaction au quotidien, c’est une nouvelle parentalité qui se construit en décalage avec le désir initial du couple. Etre parents, c’est être confronté à la perte du fantasme du parent et de l’enfant idéal.

L’enfant est une personnalité à part entière. Etre parents c’est l’apprentissage de l’altérité. Le désir de souhaiter le meilleur pour son enfant ce n’est pas le gaver, ce n’est pas l’envahir avec ses propres fantasmes et désirs. Il est essentiel de laisser à l’enfant un espace où il va pouvoir découvrir par lui-même. Souvent les parents font à la place de l’enfant. Laisser un espace à l’enfant, c’est lui faire confiance. C’est lui transmettre un message de confiance qui va permettre à l’enfant de croire en ses propres capacités. C’est dans cet espace que le jeu créatif peut surgir ».

Lire le compte-rendu complet et les remerciements sur le Site internet de l’ARES.

 


Des précisions  ont été apportées hors séance sur la règle 3/6/9/12 de Serge Tisseron : « Apprivoiser les écrans et grandir ». Il ne faut ni idéaliser, ni diaboliser les écrans mais adapter leur usage à l’âge de l’enfant.

Avant 3 ans : pas d’écrans, pas de télé.

De 3 à 6 ans : pas de console de jeux personnelle. Pas d’ordinateur ou de télé dans la chambre. Temps et programmes télés limités (par exemple une demi-heure journalière) et respectés. Possibilité de jouer avec une console à plusieurs enfants ou en famille.

De 6 à 9 ans : pas d’internet ; pas de télé ou ordinateur dans la chambre ; utilisation à temps limité et contrôlé de l’ordinateur et de la télé. A partir de 8 ans expliquer (et ré-expliquer) que sur internet existe aussi le droit à l’image et à l’intimité qui protège et ne doit pas être transgressé.

De 9 à 12 ans : pas de réseaux sociaux mais peu aller sur la toile pour recherches ou curiosité. Des règles claires sur le temps d’exposition aux écrans sont édictées. Déterminer clairement l’âge prévu du téléphone portable. Dire les règles d’internet : tout ce que l’on met sur la toile devient public et le restera éternellement ; tout ce que l’on trouve sur internet est sujet à caution.

A partir de 12 ans : les réseaux sociaux sont possibles mais contrôlés. Il peut surfer sur la toile mais les horaires sont à respecter. Pas de connexion nocturne. Discuter des dangers du téléchargement des plagiats, du porno et du harcèlement.

Refuser d’être « son ami » sur Facebook.

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