A Bersac, devant une salle comble (70 personnes), l’ARES accueillait Mgr Rouet, mercredi 13 avril 2016, pour une soirée débat sur le thème : « vivre dans une société multi-religieuse ». Après un rappel des objectifs de l’atelier de réflexion éthique et sociale par Henri Delage et la présentation de l’invité et du sujet par Chouski Marichal, Mgr Rouet a débuté son intervention -aux côtés de Patrick Chouzenoux et Christian Ferret, membres actifs de l’Ares- par un rappel historique de ce qu’était la situation en France avant et après la séparation des Eglises et de l’Etat, promulguée le 9 décembre 1905 par Emile Combes. Alors que depuis des siècles l’Etat subventionnait et cautionnait les cultes et majoritairement le culte catholique -le contexte de la Révolution française mis à part-, depuis 1905, plus aucun culte ne jouit du soutien de l’Etat. « C’est ce que l’on appelle la loi de laïcité sous laquelle nous vivons encore aujourd’hui. Beaucoup pensaient alors que la religion allait s’effondrer. Vaille que vaille elle a tenu », mais avec de profondes modifications de son insertion dans la vie sociale.
Mgr Rouet a rappelé comment, « au Concordat de 1801, par la volonté même de Bonaparte, 24 articles dits organiques reconnaissaient quatre cultes seulement, des articles qui n’ont d’ailleurs pas été abrogés par la loi de séparation. Ces quatre confessions sont le catholicisme, le judaïsme, l’église luthérienne d’Alsace Moselle et l’Eglise calviniste d’Alsace Moselle aujourd’hui fondues en une seule Eglise Réformée. Après la guerre de 14-18, il y a eu en particulier dans les grandes villes et les milieux intellectuels ou artistes, un certain attrait pour les religions orientales, puis l’islam est arrivé en plusieurs vagues liées aux exigences de la guerre et du travail. Tout d’abord avec les ouvriers venus travailler chez nous juste avant la guerre 39-45, puis avec les soldats dont certains resteront en France parmi les tirailleurs marocains, algériens, sénégalais et autres-, enfin, après la guerre d’Algérie avec les harkis si mal accueillis… »
L’islam ne bénéficiant pas de la reconnaissance des articles organiques a dû s’organiser comme il a pu. Et aujourd’hui on assiste à une situation délicate car les religions qui se côtoient dans notre société n’ont pas, dans leur diversité, les mêmes propensions à vouloir régler la vie sociale, et il n’y a plus d’accord unanime sur le sacré entre les hommes. Le sacré c’est l’objet d’un respect sur lequel tout le monde est d’accord. Il n’y avait pas de querelles sur le sacré et cela fondait le lien social. Par exemple, la patrie en 1905 était sacrée, on était un homme que quand on avait fait son service militaire, il y avait des valeurs absolument indiscutées. Entre l’Eglise et l’Etat, avant la loi de séparation, il y avait encore un langage « cousin » et des valeurs communes : on sacrait les rois, et on sacrait les évêques. La crise profonde que nous traversons aujourd’hui, c’est que le sacré a muté, il est ailleurs que dans le domaine religieux et a suivi le penchant individualiste de nos sociétés consuméristes. Si chacun a sa représentation du sacré, il n’y a plus vraiment d’autorité du sacré. A partir de ce moment-là, l’une des assises du vivre ensemble s’est évaporée.
Un débat particulièrement riche s’est ouvert avec beaucoup d’interventions des participants. La question de la tolérance a d’abord été soulevée pour vivre ensemble, mais que présuppose cette notion ? Jusqu’où peut-on accepter l’autre dans sa différence quand elle fait obstacle à notre liberté ? Peut-on tout tolérer ? N’y-a-t-il pas des limites à la tolérance ? De l’intolérable : la négation des droits humains fondamentaux au respect de sa vie et de sa liberté ?… On a pu mesurer au fil des échanges, la complexité de cette question dans les faits, le champ du vécu ajoutant aux beaux principes les irréductibles réflexes émotionnels et sensibles, qui font justement grincer le vivre ensemble. Il y a eu ensuite un échange sur la notion de religion et son étymologie qui renverrait davantage à « relegere » : relire, qu’à « religare » : relier, ainsi que sur le rapport entre religion et civilisation, chaque religion constituant un système de pensée ayant vocation à donner aux hommes les moyens de défendre ce qui peut assurer et structurer la vie…
Mgr Rouet a très souvent recentré et approfondi la réflexion en y apportant de précieux commentaires, comme celui sur le respect qui « appelle, par étymologie, à « revoir son regard » », à porter d’autres yeux sur autrui, ceux de la réflexion qui seule peut s’élever à la conscience de notre commune et réciproque situation d’être autres ! Au final, là où les passions idéologiques, les opinions et sensibilités les plus immédiates enflamment nos rapports en empêchant tout recul réfléchi, Mgr Rouet a insisté de façon très socratique sur le « parti pris de l’intelligence » comme meilleure boussole pour dessiner un chemin, plus digne de l’humanité de l’homme. Il a conclu en souhaitant un travail de toutes les religions pour définir ce qui leur est commun et donner aux hommes les moyens de vivre ensemble : « que vaudraient-elles, qu’auraient-elles à nous dire si elles ne répondaient pas à cette tâche », qui est leur vocation première au plan des sociétés humaines ?
Nous pouvons saluer la qualité de la discussion et remercier l’ARES de cultiver un espace dévolu à cet exercice citoyen du dialogue et de la réflexion, partagé de manière simple et sincère. C’est une chose d’autant plus précieuse qu’elle est rare dans nos vies pressées, alors qu’elle a pour enjeu quelque chose d’essentiel : la possibilité de mieux se situer et s’orienter dans notre monde par l’effort de penser. A.R et S.D
– Photo (de gauche à droite) : Christian Ferret, Mgr Rouet, Patric Chouzenoux
– Prochain débat de l’ARES : « Les joies de vieillir » par Geneviève Demoures médecin gériatre, jeudi 19 mai à 20h, salle de Bersac. Entrée libre.
– Le compte-rendu complet de ce débat « Vivre dans une société multi-religieuse » à lire sur le site internet de l’ARES sur lequel on peut ajouter un commentaire.