Le spectacle de jeudi dernier à Saint-Rabier, la veille du 11 novembre 2016, « La Der des ders, titre provisoire », a été un moment extraordinaire, du grand art ! Dommage qu’il n’y ait pas eu un plus large public pour partager la beauté et la force des textes et des chansons magistralement interprétés par Isabelle Gazonnois et Isabelle Loiseau qui l’accompagnait aussi au piano.
Il n’est pas facile de parler de l’horreur de la guerre sans lourdeur et avec justesse. Comment faire que la commémoration rencontre vraiment ce qui est universellement présent et actif dans les événements passés? N’est-ce pas vain de se pencher encore sur 14-18 « la der des ders », devant l’incessante répétition des conflits armés partout dans le monde? On pourrait le penser, mais comme le suggère ironiquement le »titre provisoire » accolé à l’intitulé du spectacle, l’intention est de se soucier d’aujourd’hui, d’affirmer l’impossibilité de s’habituer. Au lieu de nous laisser vaincre par la lassitude ou l’endormissement, c’est un devoir d’utilité publique de nous faire comprendre ce qu’est en réalité la folie de la guerre, et rien n’est plus fort que le poème et le chant, la vérité des lettres et des sentiments qui s’y expriment, pour nous toucher au plus profond, et réveiller en nous le seul combat digne d’une vie d’homme, le combat pour la vie. Au-delà de ce qu’ont vécu les poilus, ces jeunes gens pleins de santé et de générosité qui sont partis la fleur au fusil, pensant que la guerre ne durerait pas, et qui sont tombés dans la boue putride des tranchées, morts sous le feu de l’ennemi quand ils n’étaient pas fusillés par leurs chefs « pour l’exemple », ou revenus « gueules cassées »…, ce sont toutes les guerres qui crient ici leurs tragiques désillusions et leur enfer… « J’en ai assez. Cela fait six mois que l’on traîne entre la vie et la mort notre misérable existence qui n’a plus rien d’humain. Six mois sans espoir. Pourquoi tout ce massacre ? Nous devenons des brutes… »
Dans une mise en scène très enlevée, légère et rythmée, le spectacle est touchant, magnifique et efficace, et le public est emporté dans le vécu des soldats, à travers de nombreux messages qui passent… Les deux comédiennes qui chantent aussi bien qu’elles jouent, enchaînent l’émotion à l’énergie, des extraits de lettres à des chansons de soldats. Et comme par magie, le jeu opère. « Est-ce ainsi que les hommes vivent ?… », les chansons de l’époque, frivoles comme celles des cabarets parisiens ou sombres comme la Chanson de Craonne, le disent encore mieux que les livres d’histoire ou les grands discours…
Créé en décembre 2015, le spectacle a déjà été joué à Périgueux et à Montignac. Isabelle Loiseau, explique : « Au départ, on voulait faire une conférence avec des chansons sur le thème 14-18 avec un historien, et puis on a fait appel à Myriam Azencot, metteur en scène qui avait déjà fait un spectacle sur la guerre. Avec Isabelle Gazonnois, elles ont fait un choix de textes, notamment des textes d’auteurs combattants qu’elles voulaient vraiment faire figurer. L’idée était de faire parler deux femmes à la place des poilus, des vrais, des durs, ce qui n’était pas évident… Il nous restait à créer des personnages et trouver le contexte. Dans ce sujet grave, l’idée de la metteur en scène était de faire quelque chose avec beaucoup de changements de rythmes pour ne pas rester englués dans le côté sombre. Le fait que l’on soit dans le rôle d’artistes de cafés-concerts nous permettait aussi de retrouver la légèreté que l’on peut avoir sur scène quand on joue… »
« Il y avait la vie des tranchées mais aussi la vie du reste de la population. Il y avait des gens qui vivaient quasi normalement, déconnectés de la réalité, alors que d’autres, de leur entourage, étaient au front. Les annonces de décès sont de vraies lettres, notamment de la famille d’une amie de la metteur en scène qui avait reçu la déclaration de décès après six ans d’intervalle ! »
Les deux comédiennes ont un autre spectacle de chansons. « Isabelle Gazonnois est chanteuse et comédienne. Moi, je suis aussi pianiste classique… » Concernant ce spectacle, La Der des ders, titre provisoire de l’association Piano-Pluriel basée à Sarlat, « on a pas mal de demandes pour les deux années à venir » reconnaît la comédienne qui, parmi les projets de la troupe, cite « celui de créer un collectif de jeunes artistes, et celui de reprendre l’organisation d’un concours de piano à quatre mains qui existait de 2000 à 2008. A propos de ce concours, on s’est mis en binôme avec une autre association pour le faire renaître en avril à Montignac ».
Après de longs applaudissements, et bien des échanges dans le public, qui a beaucoup apprécié aussi l’exposition de grandes reproductions de dessins du front par A. Copieux (prêtées par le musée Labenche de Brive), les discussions se sont prolongées autour d’un verre de cidre offert par les organisateurs, avec d’excellentes crèpes, salées et sucrées, que l’on pouvait déguster aux rillettes de canard ou avec un large choix de confitures « maison ». Délicieux…, merci à ceux qui ont préparé tout cela ! SD-AR
Un extrait en vidéo de cette soirée :
http://youtu.be/wgDzZHpOFjk
Article avant l’évènement :
« La Der des ders, titre provisoire »… Un spectacle de chansons, textes et jeux avec Isabelle Gazonnois et Isabelle Loiseau. Ce jeudi soir 10 novembre (veille du 11 Novembre) à 20h30 à la salle des fêtes de Saint-Rabier, cette soirée est organisée par le Livre en Tête dans le cadre des manifestations pour la commémoration de la grande guerre 14/18 avec les actrices des Petites recettes de l’Amour fou que les spectateurs pourront rencontrer lors de l’après-spectacle autour d’un verre et en dégustant crêpes salées et sucrées. Prix des places : 12 euros ; élèves et étudiants : 8 euros ; demandeurs d’emploi : 8 euros. Tél. 06 07 50 47 87. Une exposition de dessins prêtés par les archives de Brive accompagnera cette représentation.
En 1914, une grande majorité de français et d’allemands, gens du peuple comme Etats majors, vécurent la déclaration de guerre comme le début d’un conflit qu’ils se figuraient ne devoir durer que quelques semaines, quelques mois tout au plus, chaque camp partant la fleur au fusil, victorieux à l’avance, sûr que tout serait rentré dans l’ordre pour Noël.
C’était la Guerre imaginée par presque tous. Et presque tous, de chaque côté du Rhin, d’entonner des refrains optimistes et patriotiques faisant frémir d’orgueil et de haine les plumes hérissées du coq gaulois et de l’aigle germanique.
Dès les premières batailles, cependant, les soldats des deux camps se mirent très vite à « dé-chanter » : L’Histoire de l’Europe entrait dans le monde moderne à travers la longue et douloureuse expérience de l’Horreur.
Commémorations… Célébrations… devoir de mémoire… : Maître-mots de cette période ouverte le 2 août 2014, et qui a vu, voit et verra fleurir de nombreux spectacles sur la première guerre mondiale, la Grande Guerre, celle qui devait être la DER des DERS !
Mais comment montrer, comment donner à voir la Guerre, quelle qu’elle soit? Comment en parler sans tomber dans le pathos, l’hiératisme ou les poncifs dont regorge inévitablement le sujet? Art difficile que cet hommage aux hommes de guerre et à ce qu’ils ont vécu…!
Laissons cette tâche aux historiens, ou au cinéma qui a des moyens que nous n’avons pas…
Nous, nous avons préféré évoquer la Guerre de 14-18, simplement et ludiquement (oui, c’est possible!) au travers des mots vigoureux et crus d’auteurs combattants, ou de soldats inconnus, mais aussi au travers de certaines des chansons qui les ont accompagnés, réconfortés, portés, avec émotion, douceur, colère ou nostalgie.
Chansons de l’époque donc mais aussi chansons écrites tout au long de ce 20ème siècle si tristement « riche » en conflits guerriers :
La DER des DERS… TITRE PROVISOIRE!
Un ancien cabaret promis à la démolition servira d’écrin à cette évocation.
Deux créatures mystérieuses essaieront de le faire revivre, le temps d’une mission mémorielle, le temps d’un mirage, le temps d’un hommage.
Elles seront nos guides dans les méandres de la mémoire. Elles dévideront le fil de nos souvenirs mais aussi des leurs, de leur histoire, de l’Histoire, sur des airs connus… ou moins connus.
Elles nous interpelleront, nous réjouiront, nous émouvront par les voix de soldats inconnus ou d’auteurs reconnus, Blaise Cendrars, Louis-Ferdinand Céline, Ernst Jünger, Jean Giono, Maurice Genevoix, Raymond Dorgelès, Erich-Maria Remarque, Marcel Proust ou Colette, tant il est vrai que les femmes aussi ont leur place dans la Guerre.
Puis comme une apparition qui s’évanouit à l’aurore, elles disparaîtront…
Le rêve passe… Le rêve est passé…
Mais… « La grande défaite en tout, c’est d’oublier. » (L.F. Céline, Voyage au bout de la nuit).
Myriam Azencot
Metteur en scène