Nous avons souvent une « vie de fou », on court après le temps et après la montre. Or il est bien paradoxal qu’ayant de plus en plus d’outils technologiques pour gagner du temps, on ait toujours davantage l’impression d’en manquer. Gilles Vernet, qui s’est saisi de cette question en réalisant le film « Tout s’accélère : paroles d’enfants sur un monde qui va trop vite », était à Montignac au cinéma Le Vox mercredi soir 5 juin 2019 pour débattre autour de son film. Guidé dans son projet par la lecture d’ « Accélération » d’Hartmut Rosa, il dresse avec les enfants de sa classe de CM2, une analyse approfondie de notre rapport au temps, et de la « dictature de l’urgence » qui pèse de tout son poids sur nos vies. Le film ouvre alors toute une clairière d’interrogations, éclairées par l’intelligence spontanée des enfants et par le soutien d’experts choisis, comme Nicolas Hulot, Etienne Klein, Nicole Aubert et Hartmut Rosa.
Le film démontre tout d’abord qu’une spirale d’accélération est en cours, et qu’elle pourrait nous conduire à un effet d’emballement, voire d’effondrement, à « un point de rupture psychique et physique » souligne même l’ex-ministre Nicolas Hulot, qui ajoute que « des changements qui normalement s’induisent sur des centaines de milliers d’années peuvent aujourd’hui se provoquer dans une étincelle de temps, en quelques décennies !« . Comme nos vies souffrent de cette course effrénée, caractéristique de nos sociétés hyperactives, le documentaire laisse entrevoir quelques pistes pour se libérer des effets de mal-être, de stress et de vide intérieur, où nous condamne l’exigence de tout faire vite, le règne très dommageable de l‘immédiateté : il faut apprendre à ménager plus d’espaces de respiration, à moins dépendre des écrans qui nous font oublier la relation vivante à nos corps, aux autres, à la nature…
Pour Gilles Vernet, les exemples d’accélération fourmillent : les dettes qui augmentent et les ressources qui s’épuisent ; la course à l’argent ; une croissance exponentielle ; l’informatisation et la vitesse de réactivité qu’elle induit ; les objectifs revus sans cesse à la hausse et l’épuisement des hommes ; la Terre qui n’arrive plus à absorber autant de pollution… Le réalisateur a été trader avant de devenir instituteur, « un nouveau métier pour moi, qui fait sens » dit-il. Dans le film, les élèves prennent conscience, à l’aide d’exemples et de problèmes mathématiques, que l’accélération tend toujours à atteindre une limite. « Tout va très vite et l’on passe à côté de beaucoup de choses » reconnaît l’un d’eux. Comme le remarque Etienne Klein, le temps n’est plus un ennemi quand l’humain part de lui même, d’un projet, d’une action, qui font sens. Ce qui est délétère, c’est cette soumission à l’immédiateté qui vide l’homme de son être, le rend esclave du néant. Car comme le remarque un enfant « le temps n’existe pas », ce n’est pas lui qui façonne nos existences, ce sont nos vies qui s’en saisissent pour en faire ce qui dépend de nous : aliénation ou liberté !
Le débat après la projection a été particulièrement riche. Parmi la soixantaine de personnes présentes dans la salle, l’une d’elle souligne que « de nombreuses entreprises ne tiennent plus compte du facteur humain et du bien-être au travail. Les restructurations ont supprimé des postes et l’on est arrivé à de nombreuses situations de rupture comme le burn-out ». Un spectateur âgé de 35 ans propose de « réduire déjà nos déplacements de trois quarts afin d’agir concrètement pour l’environnement ». Une autre personne reconnaît que « C’est la fin d’un système, c’est évident. » Un projet éducatif expérimental est cité, qui propose de « reconnecter les enfants à la nature afin de leur faire découvrir une approche sensorielle de l’environnement… » Gilles Vernet conclut en reprenant cette pensée de Gandhi : « Un arbre qui tombe fait beaucoup de bruit, une forêt qui germe ne s’entend pas ». Beaucoup de germes de sagesse sont en effet à l’oeuvre et il faut garder espoir dans cette époque et dans toutes les mutations qu’elle nous oblige à inventer, en réveillant tout d’abord nos consciences endormies…
Cette soirée organisée par l’association Ciné Toile en partenariat avec le cinéma Vox, dans le cadre de la Semaine du Développement durable, avait reçu le soutien de la mairie de Montignac Lascaux et de la communauté de communes Vallée de l’Homme.
– Le site internet de Gilles Vernet : toutsaccelere.com ; on peut y trouver notamment un dossier pédagogique en libre-accès.
– Photo : Le réalisateur Gilles Vernet, invité par l’association Ciné Toile présidée par Marie-Hélène Saller, explique : « Sur les réseaux sociaux, on y va pour 5 minutes et, souvent, on y est encore une heure après. Des algorithmes étudient vos comportements et proposent le contenu dont vous avez envie ! »
– Interview audio ici en replay avec Cristal Fm / Gilles Vernet réalisateur et auteur de « Tout s’accélère »