Article Ewanews janvier 2014.
C’est un véritable « bouilleur d’idées et d’esprit » qui vient d’être invité à l’Ecole Bossuet de Brive. Sous forme ludique tout d’abord, Marc Tirel cherche à démontrer à son auditoire que l’on doit s’ouvrir sur le monde qui nous entoure tout en faisant attention à l’outil internet et à sa propre façon de penser, et que l’on doit prendre du recul sur la crise actuelle. Puis, à travers une méthode de cinq étapes : complexité, intelligence collective, confiance, créativité et sagesse, il évoque quelques pistes. Notamment qu’un nouveau monde est en train de se créer, là, en ce moment, sous nos yeux !
Le titre de sa réflexion-débat était : « Emergences et transformations numériques : êtes-vous prêts à relever les défis ? » Face à une salle comble (plus d’une centaine de personnes), Marc Tirel (*) explique d’abord à l’aide de projections qu’il est vital de prendre du recul face à des choses complexes. Devant un dessin qui représente deux hommes devant un tas de bois, où l’un dit « trois » et l’autre pense « quatre », et où l’on s’aperçoit que les deux ont finalement raison, il explique : « s’ils prennent le recul suffisant, ils peuvent se comprendre ».
Puis, il projette une petite vidéo où deux équipes se font des passes avec un ballon. L’auditoire doit compter les passes de chaque équipe, blanche et noire. Pendant ce temps-là, d’autres événements se passent dans le film, mais qui les a vus ? « C’est normal, c’est un phénomène de cécité attentionnelle. On ne voit pas certaines choses » dit-il. « On devient aveugle à des choses que d’autres voient, et qui, eux, ne sont pas focalisés à compter les passes ». Ainsi face à l’auditoire composé notamment d’élèves et de parents d’élèves, il prend l’exemple du baccalauréat. « Conditionnés à réussir cet objectif, on ne va pas voir et être sensible à tout ce qui se passe à côté. On est alors insensible à l’improbable, à l’imprévu et au beau » dit-il.
« L’arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse » dit-il photo à l’appui. Et il illustre sa pensée en prenant l’exemple du journal télévisé de 20 heures ou celui des « infos de comptoir ». Puis, il fait défiler à l’écran des affirmations de personnes célèbres du passé qui se sont bien trompées. « La réalisation d’une machine bien plus lourde que l’air est impossible » écrivait cet Anglais huit ans avant le premier vol réussi. Un autre écrit à l’arrivée de la télévision : « que son succès ne dépassera pas six mois car les gens ne vont pas bêtement s’asseoir devant un meuble en bois tout petit ». L’intervenant explique ici un phénomène de cécité volontaire : « je ne le vois pas, je n’ai pas pris conscience de… » Serait-il en train de nous dire quelque chose d’important ? Par exemple que tout le monde n’a pas encore saisi l’intérêt de l’outil informatique… Marc Tirel donne sa définition du mot « émergence » : « c’est quelque chose d’apparent qui possède un large potentiel d’expansion ».
La première étape de sa méthode est la « complexité ». Sur le web, certains surfent, tandis que d’autres en ont peur. Selon lui, nos réseaux sociaux étaient jusque là la famille, la profession, le club de foot, etc. Tout allait à une vitesse normale mais aujourd’hui tout peut basculer très vite, comme un tsunami. Selon lui, c’est ce qui caractérise le passage au XXIe siècle. « La radio a atteint 50 millions d’usagers en 38 ans, la TV l’a fait en 13 ans, le PC en 4 ans, le téléphone portable, Facebook, Twitter, en quelques mois ». Et il ajoute : « la recherche de l’innovation, cela va excessivement vite, et l’Homme a du mal à suivre ce rythme infernal. Pas tout le monde cependant, car certains jeunes surfent et s’en sortent très bien. Ils ont leurs propres sources d’informations par exemple ».
Marc Tirel passe alors une seconde vitesse en abordant les limites terrestres et les pollutions. Le crédo de notre société est encore à ce jour : « il faut croître, si non c’est le chômage et donc des tensions. Mais la croissance a des limites » dit-il. Selon lui « la crise de 2008 n’est que l’apéritif ! Le vrai effondrement est à venir : en 2030 ! Ce sera une mutation très profonde. Actuellement, on dit que cela va repartir, mais je n’y crois pas trop » dit-il. Et là il enchaîne sur une vidéo terrible. Sur l’île de Midway (***), perdue au milieu du Pacifique à plus de 3.000 km de tout continent, la tendresse laisse place à l’horreur. Au milieu des oiseaux qui ont l’air heureux sur cette plage, la caméra s’approche et montre tout à coup des carcasses d’oiseaux morts le ventre plein de déchets en plastique de toutes les couleurs ! « Les oiseaux pensent que ce sont des poissons et les mangent » dit-il.
Calamar ou canular ?
La calamar géant, long de plus de 50 m, a fait le tour du web. Beaucoup se sont laissés prendre par l’intox. C’était une fausse information. Par contre, celle de la puce électronique que l’on se fait greffer dans le pouce pour ouvrir une porte, c’est bien vrai et c’est déjà réalisable aux Etats-Unis. Selon l’intervenant, le discernement est une question essentielle. Est-ce juste ou pas ? Ce sont par ailleurs des questions à résoudre collectivement et avec humilité. « On ne peut pas prétendre à trouver des réponses à tout ». Et il donne quelques conseils : « être vigilant à tout instant, à tout ce qui vient d’en haut, et se remettre en cause soi-même, sur ses propres croyances ». Sur le problème des oiseaux, « on a tous sa part de responsabilité et on a tous quelque chose à faire » dit-il avant de raconter l’histoire du toucan et du colibri (**).
L’intelligence collective pyramidale serait en train de naître. Travailler ensemble mais pas au-delà de 20. « Créer un groupe où tout le monde se connaît. C’est comme la place du marché. Tout se sait rapidement, que le boulanger fait du bon pain. On est limité en nombre, dans le temps et dans l’espace ».
L’holoptisme par la cartographie
L’intervenant démontre qu’un accès est déjà possible à des informations précises par la cartographie sur internet : la qualité de l’air au niveau national et le renvoi sur internet en temps réel de l’utilisation par les asthmatiques de leurs appareils qui indiquent où ils sont, les zones qui se sont boisées ou déboisées ces dernières années, les revenus en moyenne des habitants de telles zones (cartes à l’appui sur Brive pour ces deux derniers exemples)… C’est aussi le compostage collectif proposé par le SIRTOM, « la Ruche qui dit oui » qui favorise les échanges producteurs-consommateurs, la monnaie locale comme l’Abeille à Villeneuve-sur-Lot… Un nouveau système qui pourrait bien, selon lui, mettre à mal les systèmes de distribution alimentaire et bancaire tels que nous les connaissons aujourd’hui.
Un nouveau monde de citoyens en réseau est en train de se construire, selon l’intervenant, sur le modèle du « J’aime » que l’on clique sur Facebook. Une fois que la confiance est établie avec les valeurs du site. EBay, Le Bon coin, Amazon, Google, Twitter, Linkedin… (Trustcloud) Ce monde est basé sur la réputation, en fonction du nombre d’étoiles connectées, signe qualitatif. Ainsi naissent des sites de mise en commun et de partage de tondeuses à gazon, d’échanges de maisons, de location de voitures… Après chaque action, l’internaute est noté, et l’on note aussi la personne avec qui on a passé contrat. Pour témoigner, Marc Tirel va même afficher à l’écran toutes les notes que les utilisateurs d’un site de locations de voitures (Drivy) ont donné sur lui. « Il faut être plus transparent de façon à créer de la confiance » dit-il. Cela sera le cas également pour les entreprises en matière de développement durable par exemple.
En parallèle, naît également un monde où il n’y aura plus de vie privée, ce qui entraîne bien sûr des questions spirituelles et d’éthiques. Ce problème a déjà été évoqué récemment dans l’actualité avec la NASA.
Plus loin, l’intervenant voit l’arrivée d’un monde où chacun s’exprime. « Nous ne serons plus une masse informe de gens à qui on demande de voter tous les 5 ans ! Déjà, chacun peut décider d’acheter ou pas, de publier ou pas, de se relier à un autre ou pas, de choisir les personnes de mêmes valeurs, de mêmes croyances. On se respecte. Ce sont des nouvelles formes de confiance. Chacun, à son niveau, peut avoir un rôle à jouer pour amplifier ou aller contre » dit-il. Et il reprend la citation de Lawrence Lessig : « La loi était le code. Le code devient la loi ». Le pouvoir de demain va passer, selon lui, chez les codeurs. « La confiance bascule vers le code informatique. Cela va s’amplifier. La transition va se faire dans les vingt prochaines années, tout au plus ». Alain Rassat
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(*) Marc Tirel est chercheur en dynamiques collaboratives et intelligences collectives, détecteur et révélateur d’émergences, connecteur de talents et d’idées ; c’est-à-dire un « veilleur éveilleur » de toutes les nouveautés et tendances émergentes dans l’ensemble des disciplines. Cofondateur des « Explorateurs du web » et de la société « Savoir pour tous », il est aussi associé au cabinet de conseil In Prinicpo et membre du CIRI (Collective Intelligence Research Institute). Son expérience professionnelle internationale et sa connaisance font de lui une personnalité référence… (présentation par l’école Bossuet)
(**) La légende du colibri. Un jour, dit la légende, un incendie commence à ravager la jungle. Affolés, hommes et bêtes fuient en tous sens. Seul un petit colibri, sans relâche, fait l’aller et retour de la rivière au brasier, une minuscule goutte d’eau dans son bec, pour la déposer sur le feu. Un toucan à l’énorme bec l’interpelle : « Tu es fou colibri, tu vois bien que cela ne sert à rien. » « Oui je sais, répond le colibri, mais je fais ma part. » Interloqué, le toucan commença à faire de même, bientôt imité par dix, cent toucans. Les éléphants s’y mirent… Voyant le manège des animaux, les villageois s’y mirent également… Au bout du compte, il y eut bien quelques plumes roussies et quelques pieds brûlés, mais cette nuit-là, un petit colibri a sauvé la forêt. (source Kaizen) http://kaizen-pour-tous.blogspot.fr/p/blog-page_04.html)
(***) Film à voir sur internet à propos de l’île de Midway
Le test des passes (prendre la video 2) : comptez le nombre de passes effectuées par chaque équipe. Cliquez ici.
Lire aussi :
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