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Le dessin de presse en 14-18 par Vincent Brousse

C’est devant un public tout ouïe, tellement sa conférence était vivante et passionnante, que l’historien contemporanéiste Vincent Brousse a offert pour « Histoire et Patrimoine » à Beauregard-de-Terrasson, le 9 mars 2018, une communication très dense sur le thème de La Guerre de 14-18 croquée par les dessinateurs de presse. Du 1er août 1914 au 11 novembre 1918, en des temps où « la photo était encore rare dans la presse, et où le cinéma aux armées créé au printemps 1915 est encore balbutiant, le dessin de presse prend toute son importance ».

Filtrée par une très stricte censure, et positionnée dans le contexte social et politique du temps,  la manière d’imager le conflit en dit beaucoup sur l’état d’esprit cultivé dans chaque nation, côté français, allemand ou russe… De la liesse patriotique des premiers départs pour combattre, à l’animalisation de l’adversaire dès septembre 14 « la grande absente du dessin de presse est la mort telle qu’elle est vécue », ainsi que toute la misère induite par la guerre dans les régions françaises avec le changement complet d’économie qu’elle suscite, où les femmes jouent un rôle fondamental, inimaginable auparavant.

A Beauregard, d’où sont partis une centaine d’hommes sur environ 600 personnes, (300 femmes 300 hommes), on a recensé, d’août 14 à mars 18, 15 morts au combat, âgés de 21 à 40 ans, et trois de plus jusqu’à l’armistice. Mais Vincent Brousse a donné à son sujet un champ plus large, en étudiant la guerre au plan national et même international puisqu’il comparera aussi les dessins de presse édités dans des journaux satiriques allemands, russes ou catalans….

Il nous a rappelé comment entre 1880 et 1920, la presse française et notamment le dessin de presse, connaissent un âge d’or avec des dizaines de caricaturistes. On s’arrache « Le Petit Journal Illustré », l’un des journaux les plus diffusés. Mais il y avait aussi « La baïonnette », « Le rire rouge », « La griffe » et « Le Poilu »dont quelques extraits étaient exposés dans la salle des fêtes de Beauregard. De l’assassinat de l’Archiduc François-Ferdinand à Sarajevo jusqu’au deuxième anniversaire de l’armistice, les historiens considèrent cette période de 6 ans et demi comme capitale pour analyser et comprendre le conflit, son ressenti, et ses implications européennes et mondiales à travers le dessin de presse.

Certains dessinateurs combattent et peuvent porter un regard de l’intérieur. C’est le cas de Du Kercy parti au front en décembre 1914, janvier 2015 et de Georges Goursat dit « Sem », correspondant pour  » Le Journal » qui apporte cependant un témoignage un peu convenu sur la vie au front. Après avoir cité par ailleurs le fils aîné de Maurice Radiguet, caricaturiste de presse, Raymond, alors adolescent, qui s’était mis à dessiner comme son père avant de devenir écrivain, Vincent Brousse s’est proposé d’analyser tout un choix de dessins de presse suivant les temps forts qui ont marqué les commencements et le déroulement de la Grande Guerre. Ainsi a-t-il commencé avec une édition du dimanche  du « Petit Journal Illustré », en juillet 14, où Eugène Damblans dessinateur au Pèlerin, représentait en première page l’empereur d’Autriche François-Joseph venant d’apprendre la mort de son neveu l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, dessin à l’aquarelle qui manifeste comment le séisme de cet événement constituait une menace radicale pour la monarchie du point de vue de son premier soutien, l’Eglise…

Dans le même Petit Journal en date du 25 juillet 14, c’est une foule républicaine qui danse joyeusement, le nombre de drapeaux français flottants au soleil de cette liesse populaire dénote l’hyper-patriotisme qui sera affiché tout au long de la guerre, même si après l’assassinat de Jaurès quelques jours plus tard, au soir du 31 juillet 14, la quasi totalité des syndicalistes s’uniront dans un profond pessimisme… Comme le remarque le conférencier, qui a beaucoup étudié l’iconographie de cette période, la guerre n’est jamais montrée dans Le Petit Journal… A partir de septembre 14, après la première bataille de la Marne, on assiste à  une animalisation de l’adversaire qui tend, soit à le diaboliser, comme cette Une qui le représente comme un monstre assoiffé de sang, ou celle du 4 octobre 14 sous-titrée « L’Empereur des Vandales », soit à le tourner en dérision, comme cette armée de cochons roses figurant l’armée allemande (de mangeurs de choucroute !) marchant triomphalement vers Paris…

Autour de  Verdun, de  février à décembre 1916,  entre le « ils ne passeront pas », devenu un symbole très fort de la défense du sol national et le tragique ensevelissement des soldats du 137 ème régiment d’infanterie au nord de Verdun près de la ferme de Thiaumont, surgit une mythologie nouvelle: « le mythe de la tranchée des baïonnettes ». Bien que les combats aient fait presque autant de morts  des deux côtés (160 000 soldats français-140 000 soldats allemands) Verdun n’a jamais eu pour les allemands la même importance emblématique. C’est en France un tournant majeur qui a fait connaître la vie des tranchées et du front par les bouleversants dessins de certains poilus, et donné place à la représentation des blessés et des morts. Mais la communication de Vincent Brousse était si riche que nous ne saurions tout en restituer ici… Nous relèverons pour finir, daté du 23 juillet 2016, ce dessin du journal satirique allemand « Kladderadatsch » (« Patatras » en français, équivalent  germanique  du journal Le Charivari), représentant après le carnage de la bataille de la Somme, un tirailleur sénégalais animé de soubresauts comme s’il dansait, un crâne en bandoulière. Ce dessin, signé de l’artiste germano-américain Arthur Johnson, ne montre pas un soldat, bien qu’il porte la culotte garance de l’uniforme régulier et un porte-épée à baïonnette, mais un cannibale. Il exprime un racisme né de la ségrégation pratiquée aux USA et qui sera partie du racisme  endémique qui se développera dans le IIIème Reich…

Terrible guerre, dont les images entretenues dans la presse ont largement évité de représenter et de dénoncer la violence… Les premiers qui l’ont montrée aux alentours de 1920, ont été ceux qui étaient fidèles aux valeurs internationalistes et antimilitaristes de la révolution russe, ceux qui ensuite ont fait mémoire des fusillés pour l’exemple comme le syndicaliste limougeaud Félix Baudy, fusillé à 24 ans, martyr avec tant d’autres et non pas lâche…

On ne peut s’empêcher de penser avec une immense tristesse et colère qu’aujourd’hui, où nous avons tant d’images des conflits armés du monde, et notamment de la Syrie toute proche, la visualisation des effroyables violences subies par les populations civiles semble pourtant impuissante à les faire cesser…

Quelques-uns des ouvrages de Vincent Brousse :

• La Belle Époque des pilleurs d’églises : vols et trafics des émaux médiévaux en Auvergne-Limousin (avec Philippe Grandcoing), Les Ardents éditeurs, 2017.
• Utopies en Limousin : De Boussac à Tarnac, histoires d’autres possibles (ouvrage collectif avec une contribution de Vincent Brousse, préface de Pierre Bergounioux), Les Ardents éditeurs, 2014.
• Les nouvelles affaires criminelles politiques (avec Philippe Grandcoing), Éditions De Borée, 2013.
• Les nouvelles affaires criminelles de la Corrèze (avec Philippe Grandcoing, préface de Jean-Michel Valade), Éditions De Borée, 2013.
•.Jean-Baptiste Boudeau : Un épicier photographe des campagnes limousines (1900-1924) (sous la direction de Vincent Brousse), Les Ardents éditeurs, 2012.
• Plaque de verre, plaque mortuaire, in Cadavre exquis : Le crime de Montplaisir – Limoges 1908, Éditions Le bruit des autres, 2012.
• Les nouvelles affaires criminelles du Lot (avec Philippe Grandcoing), Éditions De Borée, 2012.
• Les grandes affaires criminelles des Landes (avec Philippe Berthelot), Éditions De Borée, 2011.
• Les nouvelles affaires criminelles de la Creuse (avec Philippe Grandcoing, préface de Jean-Marie Chevrier), Éditions De Borée, 2011.
• Les grandes affaires criminelles politiques (avec Philippe Grandcoing), Éditions De Borée, 2010.
• Les grandes affaires criminelles du Limousin (avec Jean-Marie Chevrier, Philippe Grandcoing et Jean-Michel Valade), Éditions De Borée, 2010.
• Les nouvelles affaires criminelles de Haute-Vienne (avec Philippe Grandcoing, préface de Roland Dumas), Éditions De Borée, 2009.
• 1905, la primavera rossa di Limoges (avec Philippe Grandcoing, Dominique Danthieux et avec la collaboration des membres de l’association Mémoire ouvrière en Limousin), Éditions Culture & Patrimoine en Limousin, 2006.
• Un siècle militant : Engagement(s), résistance(s) et mémoire(s) au XXe siècle en Limousin (sous la direction de Vincent Brousse et Philippe Grandcoing), PULIM, 2005.
• Les Antitout : De l’éveil de l’industrie à la naissance douloureuse du syndicalisme (de Jean Bourgoin, textes introductifs de Dominique Danthieux et Vincent Brousse), Éditions Les Monédières, 2005.
• 1905, le printemps rouge de Limoges (avec Philippe Grandcoing, Dominique Danthieux et avec la collaboration des membres de l’association Mémoire ouvrière en Limousin), Éditions Culture & Patrimoine en Limousin, 2005.

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