A lire : le compte-rendu complet de la 1ère réunion sur le thème du travail (en dessous de l’article de presse ci-dessous)
La valeur « travail » guide tout dans nos vies. De l’alimentaire au rôle social. Le travail est souvent la source de tous nos maux, de nos fatigues, souffrances et anxiétés. Et le plaisir, les joies, l’épanouissement personnel dans tout cela, sont-ils pour autant oubliés ? Sans compter que le travail a beaucoup changé en vingt-trente ans.
La réunion mensuelle de l’Atelier de réflexion éthique et sociale (ARES), qui a lieu salle de Bersac au Lardin, portait sur le thème : « Travail : place dans l’histoire et la vie de chacun » en présence de Nathalie Geneste, maître de conférences en économie à la faculté de Bordeaux. Elle a travaillé sur l’histoire industrielle et notamment sur la question : comment se formaient, se transformaient et se déformaient les relations au travail, sur deux siècles et demi, et aussi sur les souffrances au travail : la difficulté à trouver un travail, à occuper un travail, à se réaliser dans un travail. « Cette difficulté semble masquer l’épanouissement et le bonheur que l’on peut trouver dans le travail, alors que c’est quand même ça, la quête essentielle » dit-elle en guise d’introduction à ce tour de table. La vingtaine de personnes présentes a confié une partie de son expérience. Les souffrances au travail étaient en tête…
« Je les ai vu partir en pleurant. Oui, j’ai connu l’horreur de devoir convoquer des gens qui devaient partir. On m’a dit : tu dois licencier. J’ai demandé à être avec eux et l’on m’a mis à l’écart également. Trois collègues à mon niveau (cadre supérieur) se sont suicidés » confie cette ex-directrice des ressources humaines au sein d’une grande banque. Le ton est donné. « Le travail n’est pas un projet en soi, on travaille pour vivre » résume une autre participante. « Les gens sont isolés. La misère est cachée. Les gens ne sortent pas et l’on voit des jeunes qui s’enfoncent » dit cet employé de pôle emploi qui a travaillé en région parisienne. « Mais ici, c’est un autre problème, lié au transport. Même s’il y a le jardin et l’entraide ». La misère sociale engendre même de nouveaux comportements… « Je n’ai jamais vu autant de gens agressifs. Il y a une telle détresse. On commence à toucher le fond » dit-il. Il se souvient du moment où il a été recruté : « nous n’étions pas nombreux à nous présenter, mais aujourd’hui pour une seule offre de secrétaire, il y a 50 à 100 candidats ». L’employé raconte : « le plus dur souvent est de faire le deuil de son précédent emploi, le deuil de l’emploi perdu, des collègues, des conditions de travail, de la position sociale… C’est terrible, de perdre ça ». « Oui, le chômage est aussi grave qu’une maladie. Il faut être entouré pour s’en sortir » affirme à son tour une autre participante.
« Dans mon emploi, on a atteint les 40% de maladies professionnelles, c’est énorme. Et avec des stages d’ergonomie, on a découvert d’autres façons de travailler» dit cette employée dans l’industrie. «Je suis cassée de partout, des épaules…» dit cette femme qui a travaillé 32 ans dans le caoutchouc, et avec des horaires différents. Une autre fait remarquer qu’ : « avec la mondialisation, les emplois à gestes répétitifs sont partis ailleurs, dans d’autres pays.» Une femme qui a travaillé dans le Nord ajoute : «j’ai vu pleurer dans les entreprises de laines et de moquettes qui fermaient tour à tour. Pourtant, le textile c’est l’horreur, avec des odeurs très fortes de teinture, l’automatisation…» Le travail est parfois même vécu comme une phobie. « Quand je travaille, je le fais, mais je le vis très mal» confie cette participante qui explique que, selon elle, «on n’est pas fait pour ça». Une autre personne lui soumet alors une solution : « celle de prendre son travail comme un jeu de rôle, comme une pièce de théâtre. Cela libère… Comme jouer à la marchande ».
Pour cet autre DRH présent, les bons souvenirs ne font pas oublier les mauvais. « J’ai embauché 600 personnes et cela me touche beaucoup quand je croise dans un magasin (aujourd’hui il a 80 ans) quelqu’un qui me reconnaît et qui me dit : c’est vous qui m’avez embauché !» Mais il a connu aussi un plan social. Une entreprise qui a du fermer et qui a laissé 460 personnes sur le carreau. Ce directeur né à la ferme se souvient du « voisin salarié que l’on jalousait, car il avait un salaire mensuel, alors que pour le paysan c’était difficile certains mois, il ne fallait pas une catastrophe ». Même constat pour cette mère au foyer qui explique qu’elle ne le recommande pas la même situation à ses filles. « J’ai eu de la chance. Il n’est rien arrivé à mon mari heureusement » dit-elle.
« Quand on est à la retraite on est plus rien ! Le travail est indispensable. Si je n’ai rien à faire, je m’ennuie » confie ce retraité des services publics. Une autre retraitée met en garde cependant les gens qui se lancent dans le bénévolat. « Attention à ne pas prendre le travail de quelqu’un » dit-elle, avant d’expliquer qu’elle avait créée une bibliothèque dans un village… « Je sentais bien que l’on aurait voulu que je m’en occupe. Mais je suis satisfaite de voir aujourd’hui qu’une jeune maman occupe ce poste à temps partiel et qu’elle est à la portée des enfants des écoles pour leur faire aimer la lecture ».
Le compte-rendu de ce débat sera analysé par l’intervenante lors d’une nouvelle réunion le mercredi 21 mars salle du presbytère à Montignac.
Alain Rassat
ARES
LE TRAVAIL (partie 1)
Sa place dans la vie et l’histoire de chacun
Réunion du 29 février 2012 à Bersac
Nombre de participants : 21
Nous accueillons Nathalie GENESTE, maître de conférence en économie à la faculté de Bordeaux, et qui fait partie des 12 premiers signataires de l’ARES. Cette réunion sur le thème du travail trouvera son écho dans la deuxième partie le 21 mars sur le Travail et sa place dans les sociétés.
1) Définition :
Le mot « travail » provient d’une racine latine : « tripalium » qui est un instrument de torture. Cela donne une des dimensions du travail. Il y a de nombreuses définitions du mot « travail » qui proposent d’autres fonctions à ce terme.
Le travail désigne l’effort physique ou intellectuel qui doit être accompli pour faire quelque chose ou obtenir un résultat recherché. Ce résultat peut être direct ou indirect :
– direct, si l’on considère que le résultat est la production elle-même ;
– indirect, car le travail donne, par sa rémunération, la possibilité d’assouvir les besoins primaires (se nourrir, s’abriter) mais pas seulement : le travail a aussi une fonction sociale d’identification et d’appartenance à un groupe, une fonction narcissique par l’image qu’il donne de soi.
On retrouve le travail dans toutes ses variétés :
– statut : ouvrier, cadre, indépendant, salarié
– pénibilité
– créativité personnelle, et épanouissement individuel
– insertion sociale, dignité individuelle vis-à-vis de la société, bien commun, solidarité
Le tour de table permet de mettre en lumière différentes expériences singulières vis-à-vis du travail en nous faisant partager nos préoccupations actuelles, notre vécu, la place que le travail occupe dans notre vie et l’histoire de chacun.
2) Les façons d’arriver dans le monde du travail
-
par immersion en suivant le métier des parents
C’est plus vrai pour les générations passées qu’actuellement, mais dans certaines professions notamment à la campagne, les enfants participent tôt au travail des parents et intègrent naturellement la même activité une fois en âge de travailler. Ils ne sont pas forcément encouragés pour cela par les parents qui peuvent essayer de leur donner une éducation différente pour leur ouvrir le choix lors de l’entrée dans le monde du travail. Actuellement, les enfants sont plus anxieux que leurs parents ne l’étaient vis-à-vis de la rentabilité du travail car tout est entré dans le système légal, et l’imposition des revenus nécessite de produire des revenus suffisants pour la famille, là où autrefois on pouvait se débrouiller avec le « troc » : une paire de volaille pour une journée de travail.
-
par force à cause du besoin industriel
Plusieurs participants témoignent qu’à l’âge de pouvoir travailler, ils ont été sollicités par l’industrie. On est venu les chercher pour travailler car l’industrie nécessitait de la main d’œuvre. Ils n’ont eu ni à chercher, ni à choisir un emploi. Les gens qui n’avaient pas forcément la possibilité de faire des études entraient à l’usine par exemple et y faisaient leur carrière pendant 20 ou 30 ans et en sortaient à la retraite. Maintenant les gens ont un métier, une expérience, et leur technicité évolue… ou le métier disparaît.
-
par choix à la suite des études
Certains ont eu la possibilité de faire des études et de choisir un emploi ou un domaine de travail en fonction de leurs intérêts.
-
par nécessité financière
Pour d’autres, c’est la nécessité de gagner un salaire qui les a amenés à trouver un travail « alimentaire » : pour nourrir la famille, avoir un toit…
Ce peut être aussi pour acquérir une indépendance financière : Des femmes au foyer, l’ayant été par choix ou non, incitent leurs filles à ne pas suivre ce même choix pour ne pas être dépendantes financièrement de leur conjoint.
3) Les différentes réactions vis-à-vis du travail
-
la valorisation sociale par le travail (ou non)
On aborde souvent les personnes par leur fonction : untel est gendarme, untel est chef d’entreprise, unetelle est restauratrice. La fonction, et donc le travail effectué par l’individu, donne une des dimension de celui-ci. La fonction arrive avant les éléments plus personnels et individuels. Mais le pendant est que lorsqu’il n’y a plus de fonction pour établir une première définition d’un personne, il semble que cette personne ne soit plus rien : les femmes au foyer doivent déclarer « néant » dans la zone profession et si on leur demande si elles travaillent, elle répondent « non ». Et pourtant une femme au foyer est active.
De même les retraités sont définis par ce mot unique : retraité. La fonction précédente et la valeur ou la classe sociale qu’elle pouvait conférer à la personne sont totalement oblitérées par le fait que cette fonction a cessé.
Les chômeurs qu’ils soient en recherche active d’emploi ou non et quelle que soit leur classe sociale sont mis sur le banc également. Ils souffrent et sont en détresse car même une belle expérience ou des diplômes ne les aident pas toujours à trouver un emploi. Avant, il y avait une sorte de racisme social et les ouvriers étaient la classe au plus bas de l’échelle. Maintenant ce sont les chômeurs qui occupent cette place. On pourrait même dire qu’auparavant on était plus ou moins haut dans l’échelle sociale. Maintenant, on est dedans ou à côté. Les chômeurs sont mis sur le côté. D’un autre côté, le chômage tourne et chacun dans sa vie peut y être confronté. Donc le regard est ambigu : à la fois on peut se reconnaître, reconnaître un pan de son propre parcours dans les chômeurs qu’on rencontre, et à la fois ce racisme social les met au ban de la société active.
Les participants sont d’accord sur le fait qu’on se redresse plus quand on a une activité professionnelle. Les personnes qui ont été éloignées longtemps du marché du travail (par exemple les femmes restées au foyer pour élever des enfants) ont du mal à se dire qu’elles savent encore faire quelque chose. Mais lorsqu’on remet ces personnes en situation de travail (ou d’évaluation en milieu de travail) elles se redressent. Elles se découvrent aussi.
Le travail est survalorisé dans notre société : il a pris le pas sur toutes les autres valeurs. Il prime sur la famille : car on voit des couples se détruire à cause du travail parce qu’on passe plus de temps hors de la maison.
Même les loisirs ne sont plus un temps de repos. Il sont affectés par l’importance qu’on donne au travail : ils deviennent un « non-temps-de-travail ».
Enfin, il y a des gens qui ont un métier dévalorisé. Dans l’industrie et l’agriculture, on leur explique qu’ils coûtent cher, qu’ils polluent, qu’ils sont subventionnés, que d’autres feraient mieux… Ils sont dévalorisés dans leur métier et dans leur personne. Ils sont profondément démolis dans leur image propre.
-
le besoin de non-oisiveté assouvi par le travail.
L’oisiveté peut-être subie et dans ce cas perçue comme une contrainte. Pour certains l’Homme est fait pour travailler ou au moins s’occuper. Même si dans notre société le travail peut avoir une mauvaise connotation de fatigue, de pénibilité, de stress, il est généralement préféré à l’oisiveté. Le manque d’occupation empêche la créativité et les contacts humains, l’enrichissement intellectuel et social que ceux-ci procurent.
Certains métiers correspondent plutôt à un mode de vie (forain agriculteur) et ne permettent pas de délimitation franche entre le temps pour la vie de famille/loisir et le temps pour la productivité hebdomadaire (usine, bureaux…).
4) Ce qu’apporte le travail à l’individu
-
les 5 paliers, différentes raisons de travailler.
On peut faire une distinction entre une personne qui cherche un emploi et une personne qui cherche un travail : l’emploi équivaut à une condition sociale avec un salaire à la fin du mois ; le travail équivaut à une somme de motivations raisonnables par rapport aux compétences, animées par la passion. Les conditions de travail de ces deux types de personnes sont différentes. On peut définir des strates, de celle qui correspond au plus grand nombre (premier palier) à celle qui corrspond à quelques uns (5è palier) par rapport à leur recherche d’emploi :
1er l’opportunité : sans motivation liée au type de travail, cela permet d’avoir un emploi : un salaire et un niveau social
2eme l’alimentaire : pour répondre à un besoin d’argent. Peu importe le cursus.
3eme le travail : c’est un métier qui leur plaît peu importent les conditions de travail.
4eme les valeurs des gens : métier pour les avantages ou les valeurs de l’entreprise (avantages SNCF ou EDF, valeurs ou uniforme militaire ou police, valeur du monde de la justice)
5eme l’épanouissement personnel : Les gens sont heureux d’aller au travail car il s’y épanouissent.
Ce sont des strates qui se mélangent.
Il y a actuellement un très gros problème d’orientation chez les jeunes. De ce fait, ils sont majoritairement situés sur la strate de l’emploi alimentaire auquel ils vont à reculons.
Aujourd’hui on est dans l’urgence : quand on perd un travail, étant donné l’état du marché du travail, il faut prendre le plus tôt possible le premier emploi venu. On retombe donc nécessairement sur les strates alimentaires, et cela, quel que soit le niveau d’études ou l’expérience professionnelle.
-
La différence entre emploi, travail et profession (femmes au foyer, activité retraité, bénévolat)
« Travail » est un terme : erroné : on devrait parler de « profession ». Une mère au foyer si on lui demande si elle travaille, dit « non » alors qu’elle travaille énormément. Cependant, elle est « sans profession », de même que les conjoints-collaborateurs qui pendant longtemps ont travaillé à côté de leur conjoint sans être reconnus et sans avoir aucun droit lié à leur activité pourtant bien réelle.
Les enfants eux-mêmes ont besoin de pouvoir identifier le travail de leurs parents par un nom de métier, bien défini. Un simple mot « cadre » ou « fonctionnaire » est trop vague et ne définit pas suffisamment le poste, et de ce fait ne dépeint pas la personne.
On distingue travail et emploi : un emploi est une occupation rémunérée alors qu’un travail est plutôt perçu comme épanouissant. On distinguera également, chômeur et demandeur d’emploi. Un demandeur d’emploi est dans une dynamique de recherche (qu’il soit rémunéré ou non) alors qu’un chômeur ne l’est pas forcément.
5) Les liens d’une personne avec son travail
-
le deuil en cas de perte du travail comme lors de la perte d’une personne
On voit les gens sans travail s’effondrer. Le travail, et donc la perte d’emploi, concerne tous les âges de toutes les catégories socioprofessionnelles et dans tous les corps de métier. On observe systématiquement une période de deuil : C’est le cas de figure de quelqu’un qui se sentait bien dans un emploi et le perd. Tant que cette personne n’a pas fait le deuil de cet emploi perdu, elle n’est pas prête à passer à un emploi suivant. On parle de « deuil du travail perdu », on retrouve la même courbe de deuil que lorsque cela concerne la perte d’un être cher. Il faut retrouver le plus tôt possible un projet professionnel pour réussir à ramener la personne au seuil où elle était avant la perte d’emploi. Car plus on reste dans le chômage, plus le retour est difficile et les chances de retrouver un emploi s’amenuisent.
On observe aussi ce phénomène avec les personnes qui prennent leur retraite. La perte d’activité même dans ce cas-là, provoque une période de deuil. La contrepartie c’est que les retraités se lancent dans des activités de bénévolat. Mais il faut faire attention de ne pas prendre sous forme de bénévolat une place qui pourrait être un emploi rémunéré pour un actif.
Il y a aussi des gens qui ne peuvent pas ou ne veulent pas ou n’ont pas envie de retrouver du travail. Il y a aussi ceux qui s’engluent dans une spirale dépressive. Il faut trouver l’énergie positive pour remonter la pente et les relancer en avant dans une démarche positive.
-
l’épanouissement lié au travail
On parle beaucoup de la difficulté de trouver du travail, des difficultés et des souffrances dues à une activité professionnelle, et cela masque totalement les plaisirs qu’on peut avoir à travailler. Cela met toujours en exergue le côté négatif. On finit par oublier ou taire l’épanouissement personnel et collectif dû à la création, à la collaboration, au fait même d’être actif. Le travail peut être vécu comme un mode de vie, soit parce que l’emploi occupé englobe toute la vie quotidienne des personnes (agriculture, pêche, journalisme…) soit parce qu’on le prend comme l’occupation nécessaire à la vie : on se lève le matin pour aller s’occuper. Le « travail » n’est pas vécu comme un labeur, une corvée, mais simplement une occupation comme une autre. Cela n’empêche pas de le faire avec bonne volonté, et efficacité.
Il y a aussi l’état d’esprit dans lequel on aborde son travail : Si l’on décide que le travail doit nous rendre heureux, qu’on doit y trouver du plaisir, on aura à cœur de choisir au mieux son emploi. On aura l’exigence nécessaire pour s’en donner les moyens. Un travail qu’on fait avec bonheur n’est pas nécessairement un travail facile, mais c’est un moyen de mettre en valeur nos capacités, notre créativité, nos talents divers.
Le bien-être engendré par le fait de travailler vient de deux concepts : le regard des autres, car on est rejeté quand on ne travaille pas ou plus et de ce fait, on a l’impression de ne plus valoir autant donc, quand on travaille, on reçoit un regard positif et valorisant de la part des autres ; d’autre part les activités que l’on peut avoir en dehors d’un cadre professionnel ne sont pas l’équivalent du travail. Car l’impression d’avoir produit quelque chose qui entre dans l’économie de l’entreprise et donc de la communauté est valorisant d’un point de vue économique et humain, tandis que les activités de bénévolat ou de loisir, ne sont bénéfiques que d’un point de vue humain.
Faut il travailler pour exister ? et peut-on exister sans travail professionnel ? Quelle que soit la façon dont on vit le travail, la majorité des personnes et d’accord pour dire qu’on se sent toujours mieux exister, personnellement et dans la société, au travail que sans activité professionnelle.
-
la souffrance physique ou psychologique liée au travail
La souffrance peut venir de la façon dont on arrive dans un emploi : si on a pris cet emploi par défaut, si on y a été forcé, si l’emploi ne correspond en rien à nos critères, à nos talents ou à notre personnalité, rien ne pourrait en sortir d’épanouissant.
Dans certaines entreprises (textiles, notamment) il y avait la mentalité de refuser du travail trop pénible. Les syndicats essayaient de faire mécaniser les postes pour sauver la qualité de vie des salariés mais cela a provoqué la perte d’emplois en quantité.
On a constaté que pour qu’ils aient une bonne productivité, il faut que les gens soient heureux au travail. Quelqu’un qui n’est pas heureux au travail ne peut pas produire correctement. On peut essayer de leur montrer le coté attractif, valorisant et enrichissant du travail.
Dans les entreprises où la demande d’efficacité, de productivité est exacerbée, la souffrance peut venir du fait de se sentir dévalorisé, car l’employé n’est jamais estimé suffisamment productif. Le stress engendré peut mener à la dépression ou au suicide.
Lors de licenciements également, l’idée de la perte de son emploi, de l’incapacité de subvenir aux besoins de son foyer, et la sensation de ne plus être « assez bien » pour rester au sein de l’entreprise, peuvent pousser les personnes au suicide. Le salarié se sent dévalorisé en tant que personne et par seulement en tant que fonction puisque l’une et l’autre sont liée par l’emploi.
Il y a quelques décennies, les nouveaux retraités quittaient leur entreprise avec regret. Aujourd’hui, le travail est d’un tel poids, de contraintes et de stress, parfois, que c’est avec un certain soulagement que certains partent à la retraite.
Nathalie GENESTE, maître de conférence en économie a travaillé depuis le début sur l’histoire économique, l’histoire industrielle pour voir comment se transforment et se déforment les relations du travail depuis deux siècles et demi. Depuis quelques mois, elle intervient dans la chaire Jean Rodin, dans la recherche sur la souffrance au travail. Il ne s’agit pas d’une logique macro économique mais méso-économique (au niveau de l’entreprise) ou micro économique (au niveau de l’individu/personne). L’étude de la souffrance au travail demande une organisation qui mobilise les économistes, les psychologues, les psychanalystes, les ergonomes… L’histoire a beaucoup à dire car sur un temps long on voit comment les modèles se sont déformées, là où les relations ont changé, là où on s’est perdu. Elle constate qu’on parle (notamment dans les journaux) de la difficulté à trouver un travail, de la difficulté de travailler mais « la difficulté » cache l’épanouissement au travail, et le bonheur qui peut être lié au travail.
-
les sacrifices personnels pour le travail (mobilité pour trouver du travail, mobilité dûe au travail)
De nos jours on change d’entreprise plus souvent, on n’y reste plus aussi longtemps. Il faut de la flexibilité. Mais il faut faire la distinction entre manque de flexibilité et fidélité aussi.
Pour trouver du travail, il est parfois nécessaire de déménager loin, de s’exiler.
Il y a aussi les contraintes liées au travail dans un ménage : Lorsque l’un des époux a une activité qui lui demande de la mobilité, l’autre époux est nécessairement mobilisé pour le suivre et doit, de ce fait, abandonner son emploi à chaque nouveau mouvement.
Certains emplois, notamment en usine, nécessitent des horaires fluctuants (2×8, 3×8…) et c’est autant de fatigue ajoutée au corps et de contraintes ajoutées à l’organisation de la vie de famille.
On peut considérer le travail comme une punition qui nous contraint à la fatigue, à la peine, pour gagner notre pain. Cette conception d’origine biblique oblige à faire des concessions importantes au travail : des concessions physiologiques, géographiques, mais également, idéologiques.
Le travail est survalorisé dans notre société. La raison voudrait qu’on travaille pour vivre, mais la survalorisation du travail et le regard porté par les autres, mène à l’excès à concevoir sa vie pour le travail.
A suivre…
Prochaine 21 mars 20h à montignac sur Le Travail dans la Société
Nathalie GENESTE reviendra lors de la prochaine réunion sur les thème sabordés ce soir et notamment les notions de :
– Mondialisation / Individualisme
– Différence entre pacte et contrat
– Confiance dans l’entreprise : confiance en soi et confiance dans les autres (reconnaissance par les autres)
– Est-ce qu’on peut être corps, âme et esprit au travail ?
La valeur travail guide tout dans nos vies. De l'alimentaire au rôle social. Le travail est souvent la source de tous nos maux, de nos fatigues, souffrances et anxiétés. Et le plaisir, les joies, l'épanouissement personnel dans tout cela, sont-ils pour autant oubliés ? Sans compter que le travail a beaucoup changé en vingt-trente ans. La réunion mensuelle de l'Atelier de réflexion éthique et sociale (Ares) portait sur le thème : « Travail : place dans l'histoire et la vie de chacun » en présence de Nathalie Geneste, maître de conférences en économie à la faculté de Bordeaux. Elle a travaillé sur l'histoire industrielle et notamment sur la question : comment se formaient, se transformaient et se déformaient les relations au travail, sur deux siècles et demi, et aussi sur les souffrances au travail : la difficulté à trouver un travail, à occuper un travail, à se réaliser dans un travail. « Cette difficulté semble masquer l'épanouissement et le bonheur que l'on peut trouver dans le travail, alors que c'est quand même ça, la quête essentielle » dit-elle en guise d'introduction à ce tour de table. La vingtaine de personnes présentes a confié une partie de son expérience. Les souffrances au travail étaient en tête... « Je les ai vu partir en pleurant. Oui, j'ai connu l'horreur de devoir convoquer des gens qui devaient partir. On m'a dit : tu dois licencier. J'ai demandé à être avec eux et l'on m'a mis à l'écart également. Trois collègues à mon niveau (cadre supérieur) se sont suicidés » confie cette ex-directrice des ressources humaines au sein d'une grande banque. Le ton est donné. « Le travail n'est pas un projet en soi, on travaille pour vivre » résume une autre participante. « Les gens sont isolés. La misère est cachée. Les gens ne sortent pas et l'on voit des jeunes qui s'enfoncent » dit cet employé de pôle emploi qui a travaillé en région parisienne. « Mais ici, c'est un autre problème, lié au transport. Même s'il y a le jardin et l'entraide ». La misère sociale engendre même de nouveaux comportements... « Je n'ai jamais vu autant de gens agressifs. Il y a une telle détresse. On commence à toucher le fond » dit-il. Il se souvient du moment où il a été recruté : « nous n'étions pas nombreux à nous présenter, mais aujourd'hui pour une seule offre de secrétaire, il y a 50 à 100 candidats ». L'employé raconte : « le plus dur souvent est de faire le deuil de son précédent emploi, le deuil de l'emploi perdu, des collègues, des conditions de travail, de la position sociale... C'est terrible, de perdre ça ». « Oui, le chômage est aussi grave qu'une maladie. Il faut être entouré pour s'en sortir » affirme à son tour une autre participante. « Dans mon emploi, on a atteint les 40% de maladies professionnelles, c'est énorme. Et avec des stages d'ergonomie, on a découvert d'autres façons de travailler» dit cette employée dans l'industrie. «Je suis cassée de partout, des épaules...» dit cette femme qui a travaillé 32 ans dans le caoutchouc, et avec des horaires différents. Une autre fait remarquer qu' : « avec la mondialisation, les emplois à gestes répétitifs sont partis ailleurs, dans d'autres pays.» Une femme qui a travaillé dans le Nord ajoute : «j'ai vu pleurer dans les entreprises de laines et de moquettes qui fermaient tour à tour. Pourtant, le textile c'est l'horreur, avec des odeurs très fortes de teinture, l'automatisation...» Le travail est parfois même vécu comme une phobie. « Quand je travaille, je le fais, mais je le vis très mal» confie cette participante qui explique que, selon elle, «on n'est pas fait pour ça». Une autre personne lui soumet alors une solution : « celle de prendre son travail comme un jeu de rôle, comme une pièce de théâtre. Cela libère... Comme jouer à la marchande ». Pour cet autre DRH présent, les bons souvenirs ne font pas oublier les mauvais. « J'ai embauché 600 personnes et cela me touche beaucoup quand je croise dans un magasin (aujourd'hui il a 80 ans) quelqu'un qui me reconnaît et qui me dit : c'est vous qui m'avez embauché !» Mais il a connu aussi un plan social. Une entreprise qui a du fermer et qui a laissé 460 personnes sur le carreau. Ce directeur né à la ferme se souvient du « voisin salarié que l'on jalousait, car il avait un salaire mensuel, alors que le paysan c'était difficile certains mois, il ne fallait pas une catastrophe ». Même constat pour cette mère au foyer qui explique qu'elle ne le recommande pas la même situation à ses filles. « J'ai eu de la chance. Il n'est rien arrivé à mon mari heureusement » dit-elle. « Quand on est à la retraite on est plus rien ! Le travail est indispensable. Si je n'ai rien à faire, je m'ennuie » confie ce retraité des services publics. Une autre retraitée met en garde cependant les gens qui se lancent dans le bénévolat. « Attention à ne pas prendre le travail de quelqu'un » dit-elle, avant d'expliquer qu'elle avait créée une bibliothèque dans un village... « Je sentais bien que l'on aurait voulu que je m'en occupe. Mais je suis satisfaite de voir aujourd'hui qu'une jeune maman occupe ce poste à temps partiel et qu'elle est à la portée des enfants des écoles pour leur faire aimer la lecture ». Le compte-rendu de ce débat sera analysé par l'intervenante lors d'une nouvelle réunion le mercredi 21 mars salle du presbytère à Montignac.